Ils se séparent pour aller chacun à ses affaires, Philippe là où l’appelle une femme, les apôtres au soleil, sur la hauteur.
« Nous pourrions partir le lendemain du sabbat. Qu’en dites-vous ? demande Jacques, fils d’Alphée.
– Pour moi… tu penses ! Tous les jours, je me lève tourmenté par la pensée de la solitude de Jésus, sans vêtements, sans soins, et toutes les nuits je me couche avec ce tourment. Mais aujourd’hui, nous allons décider.
– Dites-moi : est-ce que le Maître savait tout cela ? Je me demande depuis des jours comment il savait que nous allions trouver le Crétois, comment il a prévu le travail de Jean et de Syntica, comment, comment… Beaucoup de choses, en somme, dit André.
– En réalité, je crois que le Crétois a des époques fixes de séjour à Séleucie. Peut-être Lazare l’a-t-il dit à Jésus, en conséquence de quoi ce dernier a décidé de partir sans attendre la Pâque, explique Simon le Zélote.
– Oui, c’est juste ! Et pour la Pâque, comment fera Jean ? demande Jacques, fils d’Alphée.
– Mais, comme tous les juifs, dit Matthieu.
– Non, ce serait se jeter dans la gueule du loup.
– Mais non ! Qui le trouverait dans une telle foule ?
– L’Iscar… Oh ! Qu’ai-je dit ! N’y pensez pas ! C’est une plaisanterie de ma pensée… »
Pierre est rouge, peiné d’avoir parlé. Jude lui pose une main sur l’épaule, en souriant de son sourire sévère, et dit :
« Allons ! Nous pensons tous la même chose… Mais n’en parlons à personne et bénissons l’Eternel qui a détourné de cette pensée l’esprit de Jean. »
Absorbés, tous gardent le silence. Mais pour eux, qui sont de vrais juifs, c’est un problème de savoir comment le disciple pourra faire la Pâque à Jérusalem, alors qu’il est exilé… et ils se remettent à en parler.
« Je crois que Jésus y pourvoira. Peut-être que Jean le sait. Il n’y a qu’à le lui demander, suggère Matthieu.
– Ne faites pas cela. Ne mettez pas des désirs et des épines là où la paix commence tout juste à renaître, supplie l’apôtre Jean.
– Oui. Il vaut mieux le demander au Maître lui-même, approuve Jacques, fils d’Alphée.
– Quand le verrons-nous ? Qu’en dites-vous ? demande André.
– Si nous partons le lendemain du sabbat, nous serons sûrement à Ptolémaïs à la fin de la lune, dit Jacques, fils de Zébédée.
– Si nous trouvons un navire… » observe Jude.
Et son frère ajoute :
« Et s’il n’y a pas de tempête.
– Quant au bateau, il y en a toujours en partance pour la Palestine et, en payant, nous lui ferons faire escale à Ptolémaïs, même si c’est un bateau direct pour Joppé. Tu as encore de l’argent ? demande le Zélote à Pierre.
– Oui, bien que ce voleur de Crétois m’ait vraiment tondu, en dépit de ses protestations de gentillesse pour Lazare. Mais je dois payer pour la garde de la barque et celle d’Antoine… Quant à l’argent donné pour Jean et Syntica, je n’y touche pas, il est sacré. Même s’il faut jeûner, je le laisse intact.
– Tu fais bien. Cet homme est très malade. Il croit pouvoir travailler comme pédagogue. Je crois que, très vite, il sera seulement un infirme, estime Simon le Zélote.
– Oui, je le pense moi aussi. Syntica, en plus de ses travaux, devra faire des onguents, renchérit Jacques, fils de Zébédée.
– Mais cet onguent, hein ? Quelle merveille ! Syntica m’a confié qu’elle veut en refaire et s’en servir pour pouvoir pénétrer dans les familles d’ici, dit Jean.
– C’est une bonne idée ! Un malade que l’on guérit, c’est toujours un disciple que l’on gagne, et sa famille avec lui, proclame Matthieu.
– Ah ! Ça, non ! S’exclame Pierre.
– Comment ? Tu veux dire que le miracle n’attire pas au Seigneur ? lui demandent André et deux ou trois autres.
– Oh ! Mes petits ! Il me semble que vous tombez du ciel ! Mais vous ne voyez pas comment ils se comportent avec Jésus ? Est-ce qu’Eli de Capharnaüm s’est converti ? Et Doras ? Et Osée de Chorazeïn ? Et Melchias de Bethsaïde ? Et – excusez-moi, vous les Nazaréens – et Nazareth tout entière pour les cinq, six, dix miracles jusqu’au dernier, celui de votre neveu ? » demande Pierre.
Personne ne réplique, parce que c’est l’amère vérité…
« Nous n’avons pas encore trouvé le soldat romain. Jésus l’avait fait comprendre… dit Jean après un moment.
– Nous le dirons à ceux qui restent. Ce sera même un but de plus dans leur vie, répond Simon le Zélote.