477.1
Jésus est seul. Seul sur un plateau un peu en forme de cuvette qui, par une ondulation légère et continue, s’élève sur le versant des collines qui entourent certainement le lac de Galilée, car je le vois en bas, à droite. Le bleu splendide de ses eaux s’assombrit à cause du crépuscule proche, qui enlève à une grande partie du lac l’éclat des rayons du soleil. En arrière de la cuvette, au nord, on distingue la montagne d’Arbel et, au-delà, plus hautes, celles de l’autre rive du lac où se trouvent Meieron et Giscala. Au nord-est, lointain, mais puissant et royal, s’élève le Grand Hermon dont le soleil à son coucher frappe bizarrement le pic le plus élevé : il lui donne une couleur topaze rosé à l’occident, et lui laisse ailleurs sa couleur opaline, qui tend à cette indéfinissable nuance d’un bleu neigeux que j’ai vue quelquefois sur les cimes de nos Alpes, à la frontière.
Quand je regarde vers le nord, c’est ce que j’ai sous les yeux. Je vois aussi sans difficulté, à droite, tout en bas, le lac, et à gauche, plus élevées, les collines qui empêchent de voir la plaine de la côte. Mais si je me tourne vers le midi, j’aperçois le mont Thabor, au-delà des collines en pente douce qui sont certainement celles qui entourent Nazareth. Il y a une petite ville, tout en bas, près d’une route de grande circulation où les gens se hâtent de gagner les lieux de repos entre les étapes.
Jésus ne regarde rien de ce que, moi, je regarde. Il cherche seulement un endroit où s’asseoir, et le choisit au pied d’un énorme chêne vert dont le feuillage a protégé de la canicule l’herbe du sol : elle est encore fraîche et touffue comme si la chaleur n’était pas passée en brûlant tout.
Jésus a ainsi en face de lui le lac, à côté le sentier parmi les arbres par lequel il est monté, et de l’autre côté les hauteurs qui entourent au nord la cuvette de prés et de forêts où il se trouve, et qui est toute verte grâce aux chênes verts et à d’autres arbres au feuillage persistant que l’automne n’atteint pas. Çà et là seulement, on y voit une tache rouge sang : c’est celle d’une feuille qui change de couleur avant de tomber, pour céder la place à une feuille naissante qui apparaît déjà tout près de celle qui meurt.
Très fatigué, Jésus s’appuie contre le tronc puissant et garde un moment les yeux fermés, comme pour se reposer. Mais, ensuite, il prend sa pose habituelle, en se détachant du tronc, penché un peu, les coudes sur les genoux, les avant-bras tendus, les mains jointes, les doigts entrelacés. Et il pense. Il prie certainement. De temps à autre, à cause de quelque bruit qui parvient à lui — oiseaux qui se battent en cherchant une place pour la nuit, quelque animal dans l’herbe qui fait tomber une pierre le long de la pente, une branche qui en heurte une autre par suite d’un coup de vent —, il lève les yeux, et d’un regard pensif qui sûrement ne voit pas, il les tourne dans la direction du bruit, surtout s’il vient du côté du sentier qui monte à travers les chênes verts. Puis il baisse de nouveau les yeux pour se concentrer intérieurement. Par deux fois, il observe attentivement le lac qui est déjà dans l’ombre, puis il tourne la tête pour regarder vers l’occident où le soleil a disparu derrière les collines boisées. La seconde fois, il se lève et va vraiment sur le sentier, pour regarder s’il monte quelqu’un, puis il retourne à sa place.