Simon demande :
« Où est Marie ? Je veux la voir »
Et, précédé par sa mère, il entre et embrasse sa parente dans la peine.
« Tu es seul ? Pourquoi Joseph n’est-il pas avec toi ? Pourquoi vous êtes-vous quittés ? Encore une brouille entre vous ? Vous n’auriez pas dû. Vous voyez ? La raison de votre désaccord est morte ! »
Et elle montre le visage du suaire.
Simon le regarde et pleure. Il dit :
« Nous ne nous sommes plus quittés, et nous ne nous quitterons pas. Oui, la raison de notre désaccord est morte, mais pas comme tu le crois. Elle est morte car, maintenant. Joseph a compris… Joseph est dehors… il n’ose s’approcher…
– Oh non ! Je ne fais jamais peur et je ne suis que pitié. J’aurais pardonné même au traître, mais c’est impossible : il s’est tué. »
A ces mots, elle se lève et, toute courbée, marche en appelant :
« Joseph ! Joseph ! »
Mais Joseph, les yeux noyés de larmes, ne répond pas.
Elle va jusqu’à la porte, comme elle l’avait fait pour parler à Judas et, en s’appuyant sur le chambranle, elle tend l’autre main et la pose sur la tête du plus âgé et du plus tenace de ses neveux. Elle le caresse et dit :
« Laisse-moi m’appuyer à un Joseph ! Tout était paix et sérénité tant que j’ai eu ce nom comme roi dans ma maison. Puis mon saint époux est mort… et tout le bien humain de la pauvre Marie est mort aussi. Il m’est resté le bien surnaturel de mon Dieu et Fils… Désormais, je suis la Délaissée… Mais si je puis être dans les bras d’un Joseph — que j’aime et tu sais combien je t’aime —, je me sentirai moins seule. J’aurai l’impression de revenir en arrière, et de pouvoir dire : “ Jésus est absent, mais il n’est pas mort. Il est à Cana ou à Naïm pour des travaux, mais il sera bientôt de retour… ” Viens, Joseph. Entrons ensemble là où il t’attend pour te sourire. Il nous a laissé son sourire pour nous dire qu’il n’a pas de rancœur. »
Joseph entre, tandis que Marie le tient par la main, et lorsqu’il la voit s’asseoir, il s’agenouille devant elle, la tête sur ses genoux, et il sanglote :
« Pardon ! Pardon !
– Ce n’est pas à moi, c’est à lui que tu dois le demander.
– Il ne peut me l’accorder. Sur le Calvaire, j’ai cherché à attirer son regard. Il a regardé tout le monde, mais pas moi… Il a raison… Je l’ai connu et aimé comme Maître trop tard. Maintenant, c’est terminé.
– Maintenant, cela commence. Tu iras à Nazareth et tu diras : “ Je crois. ” Ta foi aura une valeur infinie. Tu l’aimeras avec la perfection des apôtres de l’avenir qui auront le mérite d’aimer Jésus qu’ils auront connu seulement par l’esprit. Le feras-tu ?
– Oui ! Oui ! Pour réparer. Mais je voudrais entendre de lui une parole, et je ne l’entendrai jamais plus…
– Le troisième jour, il ressuscitera et il parlera à ceux qu’il aime. Tout le monde attend sa voix.
– Bénie es-tu, toi qui peux croire…
– Joseph ! Joseph ! Mon époux était ton oncle et il a cru à une chose qui est encore plus difficile à croire que celle-ci. Il a su croire que la pauvre Marie de Nazareth était l’Epouse et la Mère de Dieu. Pourquoi toi, le neveu de ce Juste, toi qui portes son prénom, ne peux-tu croire qu’un Dieu puisse dire à la mort : “ Cela suffit ! ” et à la vie : “ Reviens ! ” ?
– Je ne mérite pas cette foi, car j’ai été mauvais. Je me suis montré injuste avec lui. Mais toi… toi, tu es sa Mère. Bénis-moi. Pardonne-moi… Donne-moi la paix…
– Oui… Paix… Pardon… Oh mon Dieu ! Une fois, j’ai dit :
“ Comme il est difficile d’être les ‘ rédempteurs ’ ! Maintenant, je dis : “ Comme il est difficile d’être la Mère du Rédempteur ! ” Pitié, mon Dieu ! Pitié !…