205.1
Jésus apparaît sur le seuil :
« Jean d’En-Dor, viens ici avec moi. J’ai à te parler. »
L’homme, délaissant l’enfant auquel il apprenait quelque chose, accourt :
« Que veux-tu me dire, Maître ? demande-t-il.
–Viens avec moi, en haut. »
Ils montent sur la terrasse et s’asseyent du côté le plus abrité car, bien que ce soit le matin, le soleil est déjà fort. Jésus tourne son regard vers la campagne cultivée où, de jour en jour, le grain prend une teinte dorée et où les fruits grossissent sur les arbres. Il paraît vouloir suivre par la pensée cette transformation végétale.
« Ecoute, Jean : je crois qu’Isaac va venir aujourd’hui pour m’amener les paysans de Yokhanan avant leur départ. J’ai demandé à Lazare de prêter un char à Isaac pour leur permettre de rentrer plus vite chez eux. Il ne faut pas qu’ils craignent un retard qui pourrait leur valoir un châtiment. Et Lazare le prête, car Lazare fait tout ce que je lui dis. Mais j’attends autre chose de toi : j’ai ici une somme qui m’a été donnée pour les pauvres du Seigneur. Généralement, c’est l’un de mes apôtres qui est chargé de tenir les comptes et de donner les oboles. C’est Judas de Kérioth, d’habitude ; les autres parfois. Or Judas est absent et je ne veux pas que les autres sachent ce que je veux faire. Même Judas, cette fois, ne l’aurait pas su. C’est toi qui t’en chargeras, en mon nom…
– Moi, Seigneur ? Moi ? Je n’en suis pas digne !…
– Tu dois t’habituer à travailler en mon nom. N’est-ce pas pour cela que tu es venu ?
– Oui, mais je pensais devoir travailler à reconstruire ma pauvre âme.
– Et moi, je t’en fournis le moyen. En quoi as-tu péché ? Contre la miséricorde et l’amour. C’est par la haine que tu as démoli ton âme. C’est par l’amour et la miséricorde que tu la reconstruiras. Je t’en procure les matériaux. Je te destinerai particulièrement aux œuvres de miséricorde et d’amour. Tu es capable de soigner. Tu es capable de parler. Avec cela, tu es apte à soigner les infirmités physiques et morales, et tu as le pouvoir de le faire. Tu vas faire tes débuts avec cette œuvre-ci. Prends la bourse. Tu la remettras à Michée et à ses amis. Fais-en des parts égales, mais fais comme je te dis : répartis-la en dix parts, puis donnes-en quatre à Michée : une pour lui, une pour Saül, une pour Joël et une pour Isaïe. Et donne les six autres parts à Michée pour qu’il les remette au vieux père de Yabeç, pour lui et ses compagnons. Ils pourront ainsi y trouver quelque réconfort.
– C’est bien. Mais que dois-je leur dire en guise de justification ?
– Tu diras : “ C’est pour que vous vous souveniez de prier pour une âme qui se rachète. ”
– Mais ils pourront penser que c’est moi ! Ce n’est pas juste !
– Pourquoi ? Ne veux-tu pas te racheter ?
– Il n’est pas juste qu’ils pensent que je suis le donateur.
– Ne te tracasse pas et agis comme je te le dis.
– J’obéis… mais, au moins, permets-moi d’y ajouter quelque chose. De toutes façons… désormais, je n’ai plus besoin de rien. Des livres, je n’en achète plus. Je n’ai plus de poulets à nourrir. Il me faut si peu de choses… Tiens, Maître. Je ne garde qu’un peu d’argent pour les dépenses de sandales… »
Et, d’une bourse qu’il avait à la ceinture, il sort de nombreuses pièces de monnaie et les joint à celles de Jésus.
« Que Dieu te bénisse pour ta miséricorde…