254.1
Je ne vois pas la ville de Dora. Le soleil va se coucher. Les voyageurs sont en marche vers Césarée… Mais je n’ai pas vu leur halte à Dora. C’était peut-être une escale sans rien de notable à signaler. La mer semble embrasée tant elle reflète sur ses eaux calmes la couleur rouge du ciel, un rouge presque irréel par son intensité. On dirait qu’on a répandu du sang sur la voûte du firmament. Il fait encore chaud, bien que l’air marin rende cette chaleur supportable. Ils longent toujours le bord de mer pour fuir l’ardeur du terrain sec. Beaucoup ont même enlevé tout bonnement leurs sandales et relevé leurs vêtements pour entrer dans l’eau.
Pierre déclare :
« S’il n’y avait pas les femmes, je me mettrais tout nu et je m’enforcerais dans la mer jusqu’au cou. »
Mais il doit en sortir, car Marie-Madeleine, qui était à l’avant avec les autres, revient en arrière et dit :
« Maître, je connais bien ces parages. Tu vois l’endroit où la mer montre une ligne jaune au milieu de ses eaux bleues? Là se jette un cours d’eau toujours alimenté, même en été. Il faut pouvoir le franchir…
– Nous en avons tant franchi ! Ce ne sera pas le Nil ! Celui-ci aussi, nous le franchirons, dit Pierre.
– Ce n’est pas le Nil, mais dans ses eaux et sur ses rives il y a des animaux aquatiques qui peuvent nuire. Il ne faut pas passer sans précautions, ni déchaussés pour éviter des blessures.
– De quoi s’agit-il donc ? De Léviathans[1] ?
– Tu as raison, Simon. Ce sont bien des crocodiles, petits, c’est vrai, mais capables de t’empêcher de marcher pendant un bon moment.
– Et qu’est-ce qu’ils font là ?
– Ils y ont été amenés pour le culte, je crois, depuis l’époque où les phéniciens dominaient le pays. Et ils y sont restés, en devenant de plus en plus petits, mais pas moins agressifs pour autant, en passant des temples à la vase du cours d’eau. Ce sont maintenant de gros lézards, mais avec de ces dents ! Les romains viennent ici pour des parties de chasse et des divertissements variés… J’y suis venue moi aussi avec eux. Tout est bon pour… tuer le temps. Et puis leurs peaux sont très belles et servent à différents usages. Permettez-moi donc de vous guider grâce à mon expérience des lieux.
– Bon. J’aimerais les voir… dit Pierre.
– Peut-être en verrons-nous quelques-uns, bien qu’ils soient presque exterminés, tellement on les chasse. »