82.1
Voici la place du marché à Jéricho. Ce n’est pas le matin, mais le soir, au moment de ces longs crépuscules très chauds de plein été. Du marché du matin, il ne reste que des déchets : débris de légumes, monceaux d’excréments, paille tombée des paniers ou du bât des ânes, morceaux de chiffons… Sur le tout, c’est le triomphe des mouches et de toutes les fermentations et exhalaisons malodorantes, puantes, provoquées par le soleil.
Cette vaste place est déserte : quelque rare passant, quelque gamin querelleur qui lance des pierres sur les oiseaux posés sur les arbres de la place, quelque femme qui va à la fontaine. C’est tout.
Jésus arrive par une rue et regarde autour de lui, mais il ne voit encore personne. Patiemment, il s’appuie à un tronc d’arbre et il attend. Il trouve moyen de parler aux gamins de la charité qui prend sa source en Dieu et descend du Créateur sur toutes les créatures.
« Ne soyez pas cruels. Pourquoi voulez-vous troubler les oiseaux ? Ils ont leurs nids là-haut. Ils ont leurs petits. Ils ne font de mal à personne. Ils nous réjouissent de leurs chants et nous procurent la propreté en mangeant les restes de l’homme ainsi que les insectes qui nuisent aux moissons et aux fruits. Pourquoi les blesser, les tuer et priver leurs petits de leur père et mère, ou ceux-ci de leurs petits ? Seriez-vous contents de voir entrer un méchant dans votre maison, la démolir, tuer vos parents ou vous emporter loin d’eux ? Non, vous ne le seriez pas. Alors pourquoi faire à ces créatures innocentes ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fasse ? Comment pourrez-vous un jour ne pas faire de mal à l’homme si, à votre âge déjà, vous endurcissez votre cœur contre des petites créatures inoffensives et gentilles comme les oiseaux ? Ne savez-vous pas que la Loi dit : “ Aime ton prochain comme toi-même ” ? Celui qui n’aime pas son prochain ne peut pas non plus aimer Dieu. Et celui qui n’aime pas Dieu, comment peut-il aller dans sa Maison et le prier ? Dieu pourrait leur dire – et il le dit dans les Cieux – : “ Va-t’en. Je ne te connais pas. Un fils, toi ? Non, tu n’aimes pas tes frères, tu ne respectes pas en eux le Père qui les a faits. Tu n’es donc ni un frère ni un fils, mais un bâtard, un mauvais fils pour Dieu, un faux frère pour tes frères. ”
Vous voyez comme il aime, lui, le Seigneur éternel ? Aux mois les plus froids, il leur fait trouver des granges bien remplies pour que les oiseaux puissent y abriter leurs petits. Pendant les chaleurs, il leur procure l’ombre des feuilles pour les protéger du soleil. En hiver, dans les champs, le grain est à peine couvert de terre et il leur est facile de trouver les semences et de s’en nourrir. En été, des fruits succulents soulagent leur soif, ils peuvent se bâtir des nids solides et chauds avec les brins de paille et la laine que les troupeaux laissent sur les ronces. Et il est le Seigneur. Vous, petits hommes, qui êtes créés comme des oiseaux par lui et êtes donc les frères de ces petites créatures, pourquoi voulez-vous être différents en vous croyant autorisés à être cruels envers ces petits animaux ? Soyez pour tous miséricordieux en ne privant personne de ce qui lui revient, ni les hommes, vos frères, ni les animaux, vos serviteurs et amis, et Dieu…
– Maître, appelle Simon, Judas arrive !
– …et Dieu sera miséricordieux envers vous, il vous accordera tout ce qu’il vous faut, comme il le fait pour ces créatures innocentes. Allez et emportez avec vous la paix de Dieu. »