14.1
Le plus bleu des ciels d’un tiède mois de février s’étend sur les collines de Galilée, ces douces collines que je n’ai encore jamais vues dans ce cycle de l’enfance de la Vierge et qui me sont devenues aussi familières que si j’y étais née.
La voie principale, humide à la suite d’une pluie récente, tombée peut-être la nuit passée, n’est ni poussiéreuse, ni même boueuse. Le sol en est aussi ferme et propre que celui d’une rue de ville. Elle passe entre deux haies d’aubépines en fleurs qui forment une surface enneigée au parfum légèrement amer de bois, entrecoupée d’étendues de cactus aux feuilles grasses et plates, tout hérissées d’aiguilles et garnies de fortes grappes de fruits étranges poussés sans tige au bout des feuilles ; leur couleur et leur forme évoquent toujours pour moi les profondeurs marines, les coraux et les méduses, ou d’autres animaux des fonds marins.
Ces haies servent à délimiter les propriétés, si bien qu’elles s’étirent dans tous les sens, créant un étonnant dessin géométrique composé de courbes et d’angles, de losanges, de carrés, de demi-cercles, de triangles aux angles aigus ou obtus les plus invraisemblables, tout un canevas saupoudré de blanc, comme un ruban capricieux qu’on aurait ainsi étendu, le long des champs. Des centaines d’oiseaux y volent, pépient, chantent, tout à la joie de l’amour, ou encore s’activent à reconstruire leur nid. Par-delà ces haies, on aperçoit des champs, avec le blé en herbe, déjà plus haut ici qu’en Judée, ainsi que des prés tout fleuris. Au-dessus, répondant aux légers nuages du ciel auxquels le crépuscule donne des teintes roses, lilas clair, pervenche, opale bleuté ou orange corail, s’étendent par centaines ces nuages végétaux que forment les arbres fruitiers, blancs, roses, rouges, avec toutes les nuances intermédiaires.
La légère brise du soir fait tourbillonner et tomber les pétales des arbres en fleurs ; on dirait un essaim de papillons à la recherche de pollen sur les fleurs des champs. Des guirlandes de vigne vierge encore dénudée grimpent d’un arbre à l’autre et ce n’est qu’à leur sommet, là où le soleil tape davantage, que commence l’ouverture innocente, étonnée, palpitante des premières petites feuilles.
Le soleil se couche paisiblement dans le ciel d’un bleu si doux que la lumière rend encore plus clair ; au loin brillent les neiges de l’Hermon et d’autres cimes lointaines.