La servante ouvre. Jésus entre au milieu des courbettes répétées de la servante.
« Où est ta maîtresse ?
– Avec ta Mère… et, imagine donc ! Elle est descendue au jardin ! Quelle affaire ! Quelle affaire ! Et hier soir, elle est venue dans la salle à manger… Elle pleurait, mais elle est venue. J’aurais voulu qu’elle prenne aussi de la nourriture, au lieu de sa goutte de lait habituelle, mais je n’y suis pas arrivée !
– Elle en prendra. N’insiste pas. Montre-toi patiente, même dans ton amour pour ta maîtresse.
– Oui, Sauveur, je ferai tout ce que tu dis. »
Je crois en effet que, si Jésus avait ordonné à la femme de faire les choses les plus étranges, elle les aurait faites sans discuter, tant elle est persuadée que Jésus est Jésus et que tout ce qu’il fait est bien.
Entre-temps, elle l’accompagne dans un vaste jardin plein d’arbres fruitiers et de fleurs. Mais, si les arbres fruitiers ont pensé par eux-mêmes à se revêtir de feuilles et à fleurir, à faire paraître des fruits et à les faire grossir, les pauvres fleurs, dont on ne s’occupe plus depuis un an, sont devenues un bosquet nain et tout enchevêtré où les plantes les plus faibles et les moins hautes étouffent sous le poids des plus vigoureuses. Parterres, sentiers, tout disparaît dans un enchevêtrement chaotique. Dans le fond du jardin seulement, là où la servante a fait pousser salades et légumes pour ses besoins, il y a un peu d’ordre.
Marie se tient avec Elise sous une tonnelle tout ébouriffée de sarments et de vrilles qui descendent jusqu’à terre. Jésus s’arrête et regarde sa jeune Mère qui, avec beaucoup de finesse, éveille l’esprit d’Elise et dirige ses pensées vers des objets bien différents de ceux qui accaparaient jusqu’alors les pensées de la femme désolée.
La servante va trouver sa maîtresse et lui dit :
« Le Sauveur est arrivé. »
Les femmes se retournent et vont à lui, l’une avec son doux sourire, l’autre avec son visage fatigué et égaré.
« Paix à vous. Quel beau jardin !
– Il était beau…, dit Elise.
– La terre est fertile, regarde quels beaux fruits se préparent à mûrir ! Et que de fleurs sur ces rosiers ! Et là ? Ce sont des lys ?
– Oui, autour d’un bassin où mes enfants se sont tant amusés… Mais, à l’époque, il était en bon état… Maintenant tout est en ruines, ici. Je n’ai plus l’impression que c’est le jardin de mes fils.
– quelques jours suffiront pour qu’il redevienne comme auparavant. C’est moi qui t’aiderai. N’est-ce pas, Jésus ? Tu vas me laisser rester ici quelques jours avec Elise. Nous avons tant à faire… »
– Tout ce que tu veux, je le veux. »
Elise le regarde et murmure :
« Merci. »
Jésus caresse sa tête blanche, puis prend congé pour aller rejoindre les bergers.