The Writings of Maria Valtorta

359. Dans la cabane de Matthias près de Jabès Galaad.

359. In Matthias’ hut beyond Jabesh-Gilead.

359.1

La vallée profonde et boisée où s’élève Jabès Galaad résonne du fracas d’un petit torrent très gonflé qui coule en écumant vers le Jourdain très proche. Un sombre crépuscule, qui termine une sombre journée, épaissit encore plus l’obscurité des bois, et le village apparaît dès l’abord triste et inhospitalier.

Thomas, toujours de bonne humeur, bien que ses vêtements soient dans l’état d’un linge que l’on sort d’un baquet, de la tête à la ceinture et de la ceinture aux pieds, un ruisseau qui marche, dit :

« Hum ! Je ne voudrais pas qu’après des siècles ce pays se venge sur nous de la mauvaise surprise[1] que lui a faite Israël ! Assez ! Allons souffrir pour le Seigneur. »

Les gens ne les brutalisent pas, cela non. Mais ils les chassent de partout en les traitant de voleurs et pis encore ; Philippe et Matthieu doivent même se sauver à toutes jambes pour échapper à un gros chien qu’un berger a lancé contre eux, alors qu’ils étaient allés frapper à la porte du bercail afin de demander un refuge pour la nuit “ au moins sous le toit des animaux ”.

« Et maintenant qu’allons-nous faire ?

– Nous n’avons pas de pain.

– Et pas d’argent. Sans argent, on ne trouve ni pain ni logement !

– Nous sommes trempés, gelés, affamés.

– Et la nuit vient. Nous aurons l’air frais, demain matin, après une nuit passée dans le bois ! »

Sur les douze, sept ronchonnent ouvertement, trois ont le mécontentement gravé sur le visage et leur silence parle de lui-même, Simon le Zélote marche la tête basse, indéchiffrable. Jean paraît être sur des charbons ardents et il tourne la tête rapidement des rouspéteurs à Jésus, et de celui-ci aux premiers. Sa peine se lit sur son visage. Jésus va personnellement, puisque les apôtres s’y refusent ou le font avec crainte, frapper de maison en maison en parcourant patiemment les ruelles, transformées en marécages glissants et fétides. Mais partout on les repousse.

359.2

Ils sont arrivés à l’extrémité du village, là où la vallée s’élargit déjà pour faire place aux pâturages de la plaine transjordanienne. Il reste encore quelques rares maisons… Mais partout c’est la déception…

« Cherchons dans les champs. Jean, pourrais-tu monter sur cet orme ? De là-haut, tu pourrais voir.

– Oui, mon Seigneur.

– La pluie rend l’orme glissant. Le garçon ne réussira pas et il va se faire mal. Comme ça, en plus, nous aurons un blessé » bougonne Pierre.

Alors Jésus dit avec douceur :

« C’est moi qui vais monter.

– Cela non ! » s’écrient-ils en chœur.

Et les pêcheurs crient plus fort que tous, en ajoutant :

« Si c’est dangereux pour nous qui sommes pêcheurs, qu’est-ce que tu peux faire, toi qui n’as jamais grimpé aux mâts ni aux filins ?

– C’était pour vous que je le faisais. Pour vous chercher un abri. Pour moi, cela m’est indifférent. Ce n’est pas l’eau qui m’est pénible… »

Quelle tristesse ! Quel appel à la pitié pour lui il y a dans sa voix ! Quelques-uns s’en rendent compte et se taisent. D’autres – il s’agit de Barthélemy et de Matthieu – disent :

« Maintenant il est trop tard pour y parer. Il fallait y penser avant.

– Oui, et ne pas faire de caprice en voulant partir de Pella malgré la pluie. Tu as été entêté, imprudent, et nous en subissons les conséquences. Qu’est-ce que tu veux arranger, maintenant ? Si nous avions une bourse bien garnie, tu verrais que toutes les maisons se seraient ouvertes ! Mais toi !… Pourquoi ne fais-tu pas un miracle, au moins un miracle pour tes apôtres? Tu en fais même pour les indignes ! » dit Judas en gesticulant comme un fou, agressif au point que les autres, bien qu’en partie du même avis, éprouvent le besoin de le rappeler au respect.

Jésus semble déjà être le Condamné qui regarde avec douceur ses bourreaux. Et il se tait. Ce silence qui, depuis quelque temps devient plus fréquent chez Jésus, prélude au “ grand silence ” devant le Sanhédrin, devant Pilate et Hérode. Il me fait beaucoup de peine. On dirait ces pauses de silence fréquentes dans les gémissements d’un mourant, qui ne sont pas du calme dans les douleurs, mais le prélude à la mort. Ces silences de Jésus me semblent crier plus fort que toute parole, et dire toute sa souffrance devant l’incompréhension des hommes et leur manque d’amour. Et sa douceur sans réactions, cette attitude debout, tête un peu baissée, me le font déjà apparaître comme enchaîné, livré à la haine des hommes.

« Pourquoi ne dis-tu rien ? lui demandent-ils.

– Parce que je dirais des paroles que votre cœur ne comprendrait pas à cette heure… Allons. Nous marcherons pour ne pas nous geler… Et pardonnez… »

Il se tourne rapidement pour se mettre à la tête de la troupe qui éprouve quelque pitié, tout en l’accusant un peu et en donnant raison aux compagnons.

359.3

Jean ralentit et reste en arrière, mais de manière que personne ne s’en aperçoive. Puis il se dirige vers un arbre élevé qui me semble être un peuplier ou un frêne. Il enlève son manteau et sa tunique et, à demi nu, se met à grimper non sans peine, jusqu’à ce que les premières branches lui facilitent la montée. Il monte comme un chat. Parfois aussi il glisse, mais il se reprend et le voilà presque au sommet. Il scrute l’horizon éclairé par les dernières clartés du jour. En effet, comme les nuages couleur de plomb se sont un peu éclaircis, il fait moins sombre dans la plaine que dans la vallée. Il inspecte dans toutes les directions et finalement, il fait un geste de joie. Il se laisse glisser rapidement à terre, reprend ses vêtements et se met à courir pour atteindre et dépasser ses compagnons. Il arrive à côté du Maître. Tout essoufflé par sa course, il lui dit :

« Une cabane, Seigneur… une cabane du côté de l’orient… Mais il faut revenir en arrière… Je suis monté sur un arbre… Viens, viens…

– Moi, je vais avec Jean de ce côté. Si vous voulez venir, venez. Sinon, continuez jusqu’au prochain village le long du fleuve. Nous nous retrouverons là » dit Jésus d’un ton sérieux et résolu.

Tous le suivent à travers les prés détrempés.

« Mais on retourne vers Jabès !

– Moi, je ne vois pas de maisons…

– Qui sait ce qu’a vu le garçon !

– Une meule de paille peut-être.

– Ou la cabane d’un lépreux.

– Nous allons achever de nous tremper. Ces prés sont de vraies éponges » maugréent les apôtres.

359.4

Mais ce n’est pas une cabane de lépreux ni une meule de paille que l’on aperçoit derrière un rideau d’arbres. C’est une cabane, cela oui. Elle est large, basse, semblable à un pauvre bercail, à moitié couverte de paille avec des murs de terre que main­tiennent péniblement aux coins des soutènements de pierre brute. Une enceinte de pilotis entoure la maisonnette et à l’intérieur, il y a des légumes trempés d’eau.

Jean appelle. Un vieil homme paraît :

« Qui est-ce ?

– Des pèlerins en route pour Jérusalem. Un abri, pour l’amour de Dieu ! Dit Jésus.

– Toujours. C’est un devoir. Mais vous tombez mal. J’ai peu de place et pas de lits.

– Peu importe. Tu auras du feu, au moins. »

L’homme manœuvre la serrure et l’ouvre.

« Entrez et que la paix soit avec vous. »

Ils traversent le minuscule potager et entrent dans la pièce unique qui sert de cuisine et de chambre à coucher. Un feu brille dans la cheminée. C’est pauvre, mais bien en ordre. Comme mobilier, juste l’indispensable.

« Voyez ! Je n’ai que le cœur qui soit grand et bien disposé, moi ! Mais si vous n’êtes pas trop exigeants… Avez-vous du pain ?

– Non. Une poignée d’olives…

– Moi, je n’ai pas de pain pour tout le monde. Mais je vais vous faire un plat avec du lait. J’ai deux brebis. Elles me suffisent. Je vais les traire. Voulez-vous me donner vos manteaux ? Je vais les étendre dans le bercail, là derrière. Ils vont sécher un peu, et demain, près du feu, on fera le reste. »

L’homme sort, chargé d’étoffes humides. Tout le monde entoure le feu et se réjouit de sa chaleur.

L’homme revient avec une natte grossière. Il l’étend.

« Enlevez vos sandales. Je les débarrasserai de la boue et je les pendrai pour qu’elles sèchent. Et je vais vous donner de l’eau chaude pour vous laver les pieds. La natte est rustique, mais propre et épaisse. Ce sera plus agréable pour vous que le sol humide et froid. »

Il détache un chaudron rempli d’eau verdâtre — car il y fait bouillir des légumes —, et il en verse la moitié dans une bassine et la moitié dans une cuvette. Il y ajoute de l’eau froide et dit :

« Voilà pour vous remettre en forme. Lavez-vous. Voici un linge propre. »

Tout en parlant, il s’occupe du feu et le ravive, verse le lait dans un chaudron, le met sur le feu. Dès qu’il bout, il y jette des graines qui me semblent être de l’orge écrasé ou du mil broyé. Puis il remue sa bouillie.

359.5

Jésus, qui a été l’un des premiers à se laver, s’approche de lui :

« Que Dieu te fasse grâce pour ta charité.

– Je ne fais que rendre ce que j’ai eu de lui. J’ai été lépreux. De trente-sept à cinquante et un ans. Puis j’ai été guéri. Mais, au village, j’ai trouvé mes parents morts, ainsi que ma femme, et ma maison dévastée. Et puis, j’étais “ le lépreux ”… Je suis venu ici, et je me suis fait un nid. Par mes propres moyens et avec l’aide de Dieu. D’abord une cabane de jonc, puis une de bois, puis des murs… Tous les ans j’ajoute quelque chose de nouveau. L’an dernier, j’ai fait le local des brebis. Je les ai achetées en fabriquant des nattes que je vends et de la vaisselle de bois. J’ai un pommier, un poirier, un figuier, une vigne. Par derrière, j’ai un petit champ d’orge, par devant les légumes. Quatre couples de colombes, deux brebis. Dans quelque temps, je vais avoir des agneaux. Espérons que ce sera des agnelles cette fois. Je bénis le Seigneur et je ne demande pas davantage. Et toi, qui es-tu ?

– Un Galiléen. Tu as des préventions ?

– Aucune, bien que je sois de race judéenne. Si j’avais eu des fils, j’aurais pu en avoir un comme toi… Je sers de père aux pigeons… Je me suis habitué à rester seul.

– Et pour les fêtes ?

– Je remplis les mangeoires et je m’en vais. Je loue un âne. Je cours, je fais ce que j’ai à faire, et je reviens. Il ne m’a jamais manqué une feuille. Dieu est bon.

– Oui, avec ceux qui sont bons et ceux qui le sont moins. Mais les bons sont sous son aile.

– Oui, c’est ce que dit Isaïe[2]… Moi, il m’a protégé.

– Tu as été lépreux, cependant, remarque Thomas.

– Et je suis devenu pauvre et seul. Mais voilà, c’est une grâce de Dieu d’être redevenu un homme et d’avoir un toit et du pain. Mon modèle dans le malheur[3], c’est Job. J’espère mériter comme lui la bénédiction de Dieu, non en richesses mais en grâce.

– Tu l’auras, tu es un juste.

359.6

Comment t’appelles-tu?

– Matthias. »

Il détache son chaudron, le dépose sur la table, y ajoute du beurre et du miel, remue, remet le tout au feu et dit :

« Je n’ai que six récipients en comptant les assiettes et les écuelles. Vous les prendrez à tour de rôle.

– Et toi ?

– Celui qui donne l’hospitalité se sert en dernier. Les frères que Dieu envoie passent en premier. Voici, c’est prêt. Et ça vous fera du bien. »

Il verse des cuillerées de bouillie fumante dans les quatre assiettes et les deux écuelles. Il y a des cuillères de bois.

Jésus invite les plus jeunes à manger.

« Non. Toi, Maître, dit Jean.

– Non, non. Il est bon que Judas se rassasie et qu’il voie qu’il y a toujours de la nourriture pour les fils. »

Judas change de couleur, mais il mange.

« Tu es un rabbi ?

– Oui, et eux sont mes disciples.

– Moi, j’allais trouver Jean-Baptiste quand il était à Béthabara. Sais-tu quelque chose sur le Messie ? On dit qu’il est venu et que Jean l’a montré. Quand je vais à Jérusalem, j’ai toujours l’espoir de le voir, mais je n’y suis pas arrivé. J’accomplis le rite et je m’en vais. C’est à cause de cela que je ne le vois pas. Ici, je suis isolé et puis… Les gens ne sont pas bons en Pérée. J’ai parlé à des bergers. Ils viennent ici pour les pâturages. Eux savaient. Ils m’ont raconté. Quelles paroles ! Qu’est-ce que ce doit être quand c’est lui qui les dit !… »

Jésus ne se dévoile pas. C’est à son tour de manger, et il le fait avec sérénité près du bon vieillard.

« Et maintenant ? Comment allons-nous faire pour dormir ? Je vous cède mon lit, mais je n’en ai qu’un… Moi, j’irai avec les brebis.

– Non, c’est nous qui irons. Le foin est bon quand on est fatigué. »

Le souper est fini et ils pensent à se coucher pour partir à l’aurore. Mais le vieil homme insiste et c’est Matthieu, très enrhumé, qui prend son lit.

359.7

Mais à l’aurore, c’est un vrai déluge. Comment partir sous ces cataractes ? Ils écoutent le vieillard et restent. Pendant ce temps, les vêtements sont brossés, séchés, on graisse les sandales, on se repose. Le vieil homme cuit à nouveau de l’orge dans le lait pour tout le monde, puis il met des pommes dans la cendre. Voilà leur repas. Et ils sont en train de le consommer quand du dehors arrive une voix.

« Un autre pèlerin ? Comment allons-nous faire ? » dit le vieillard.

Mais il sort, enveloppé dans une couverture de laine brute, imperméable. Dans la cuisine, on se chauffe au feu, mais on n’est pas de bonne humeur. Jésus se tait.

Le vieil homme revient, les yeux écarquillés. Il regarde Jésus, il regarde les autres. Il semble avoir peur… il paraît incertain et inquisiteur. Enfin il dit :

« Le Messie est-il parmi vous ? Dites-le-moi. Les habitants de Pella le cherchent pour l’adorer, à cause d’un grand miracle qu’il a fait. Ils ont frappé depuis hier soir à toutes les maisons jusqu’au fleuve, jusqu’au premier village… Maintenant, en revenant, ils ont pensé à moi. Quelqu’un leur a indiqué ma maison. Ils sont dehors avec des chars. Une foule ! »

Jésus se lève. Les Douze le supplient :

« N’y va pas. Puisque tu as dit qu’il était plus prudent de ne pas s’arrêter à Pella, il est inutile de te montrer maintenant.

– Mais alors !… Oh ! Béni, béni es-tu, ainsi que Celui qui t’a envoyé ! Et moi qui t’ai accueilli ! Tu es le Rabbi Jésus, lui… Oh ! »

L’homme est à genoux, front à terre.

« Oui, c’est moi. Mais laisse-moi aller vers ceux qui me cherchent. Puis je viendrai à toi, brave homme. »

Il dégage ses chevilles serrées par les mains de son hôte et sort dans le potager inondé.

359.8

« Le voilà ! Le voilà ! Hosanna ! »

Ils sautent des chars. Il y a là des hommes et des femmes, le petit aveugle d’hier et sa mère ainsi que la Gérasénienne. Sans se soucier de la boue, ils s’agenouillent et le supplient :

« Reviens, retourne sur tes pas ! Chez nous, à Pella !

– Non, à Jabès » crient d’autres, certainement de là-bas. « Nous te voulons ! Nous regrettons de t’avoir chassé ! Crient les habitants de Jabès.

– Non, chez nous ! A Pella, où ton miracle est vivant ! Pour eux les yeux, pour nous la lumière de l’âme.

– Je ne peux pas. Je vais à Jérusalem. C’est là que vous me trouverez.

– Tu es fâché parce que nous t’avons chassé.

– Tu es dégoûté parce que tu sais que nous avons cru aux calomnies d’un pécheur. »

La mère de Marc se couvre le visage en pleurant.

« Dis-lui de revenir, Jaias, à lui qui t’a aimé.

– Vous me trouverez à Jérusalem. Allez et persévérez. Ne ressemblez pas aux vents qui soufflent dans toutes les directions. Adieu.

– Non. Viens. Nous te prendrons de force, si tu ne viens pas.

– Vous ne lèverez pas la main sur moi. C’est de l’idolâtrie, pas de la vraie foi. La foi croit même si elle ne voit pas. Elle persévère même si on la combat. Elle grandit même sans miracles. Je reste chez Matthias qui a su croire sans rien voir, et qui est un juste.

– Accepte au moins nos dons : de l’argent, du pain. On nous a dit que vous avez donné tout ce que vous aviez à Jaias et à sa mère. Prends un char. Tu t’en serviras pour le trajet. Tu le laisseras à Jéricho chez l’hôtelier Timon. Prends-le. Il pleut et il va encore pleuvoir. Tu seras à l’abri. Tu iras plus vite. Montre-nous que tu ne nous hais pas. »

Jésus d’un côté de la palissade et eux de l’autre, en effervescence, ils se regardent. Derrière Jésus se tiennent le vieux Matthias, à genoux, bouche bée, et les apôtres, debout.

Jésus tend la main en disant :

« J’accepte pour les pauvres, mais je ne veux pas du char. Je suis le Pauvre entre les pauvres. N’insistez pas. Jaias, sa mère, et toi, femme de Gerasa, venez que je vous bénisse en particulier. »

Et quand ils sont près de lui — Matthias leur a ouvert la clôture —, il les caresse, les bénit et les congédie. Puis il bénit les autres qui se sont groupés sur le seuil, en donnant aux apôtres de l’argent et des vivres, et il les congédie.

359.9

Il rentre dans la maison…

« Pourquoi ne leur as-tu pas parlé ?

– Le miracle des deux aveugles est parlant par lui-même.

– Pourquoi n’as-tu pas pris le char ?

– Parce qu’il est bon de marcher.

Et il se tourne vers Matthias :

« Je t’aurais récompensé par ma bénédiction. Maintenant, je peux y ajouter un peu d’argent pour les frais que nous t’avons causés…

– Non, Seigneur Jésus… Je n’en veux pas. Je l’ai fait de bon cœur. Et maintenant, maintenant, je le fais pour servir le Seigneur. Le Seigneur ne paie pas. Il n’y est pas tenu. C’est moi qui ai reçu, pas toi ! Ah ! Quelle journée ! Son souvenir durera pour moi jusqu’à l’autre vie !

– Tu as raison. Tu trouveras ta miséricorde envers les pèlerins inscrite dans le Ciel, et de même ta promptitude à croire… Dès que le temps va un peu s’éclaircir, je te quitterai. Eux pourraient revenir. Ils insistent, tant que le miracle les frappe, puis… redeviennent aussi engourdis qu’avant, sinon même ennemis. Je m’en vais. Jusqu’à présent je suis resté pour essayer de les convertir. Maintenant, je viens et je passe sans m’arrêter. Je vais vers mon destin qui me presse. Dieu et l’homme m’éperonnent, et je ne puis m’arrêter. L’amour m’aiguillonne et leur haine aussi. Celui qui m’aime peut me suivre. Mais le Maître ne court plus après les brebis récalcitrantes.

– Ils ne t’aiment pas, Maître divin ? demande Matthias.

– Ils ne me comprennent pas.

– Ils sont méchants.

– Ils sont appesantis par les concupiscences. »

L’homme n’ose plus être en confiance comme avant. Il semble être devant un autel. Jésus, au contraire, maintenant qu’il n’est plus l’Inconnu, est moins réservé, et il parle au vieil homme comme à un parent.

Et les heures passent ainsi jusqu’au début de l’après-midi. Le nuage qui a crevé annonce l’arrêt de la pluie. Jésus ordonne le départ. Et, pendant que le vieillard va prendre les manteaux qui ont séché, il dépose de la monnaie dans un tiroir et fait mettre des pains et des fromages dans une maie.

Matthias revient et Jésus le bénit. Puis il reprend la route, en se retournant encore pour regarder la tête blanche qui dépasse de l’enceinte sombre.

359.1

The deep woody valley where Jabesh-Gilead is situated is resounding with a swollen little torrent, which flows foaming towards the nearby Jordan. The dim twilight and dull day increase the gloomy sight of the woods and the village thus looks sad and inhospitable at first sight.

Thomas, who is always good-humoured, notwithstanding that his garments are just as wet as if they had been taken out of a washing tub and he is covered in mud from head to foot, says: «H’m! I would not like this village to revenge itself on us for the unpleasant surprise[1] they received from Israel. Well, let us go and suffer for the Lord.»

The people do not kill them, that is true, but they drive the apostles away from everywhere, calling them thieves and worse names, and Philip and Matthew have to run as fast as they can, to get rid of a big dog, which a shepherd has set on them, when they knock at the door of his sheep-fold, asking for shelter for the night «at least under the shed of the sheep».

«What shall we do now?»

«We have no bread.»

«And no money. And without money one can find no bread and no lodgings.»

«And we are wet to the skin, frozen and starving.»

«And it is getting dark. We shall be a lovely sight tomorrow morning, after a night in the wood.»

Seven of the Twelve are grumbling openly, three are clearly dissatisfied, even if they do not say so. Simon Zealot is proceeding with his head lowered and the expression of his face is undecipherable. John is greatly embarrassed and with grievous countenance he casts rapid glances at Jesus and the grumblers alternately. Jesus continues to go personally to knock from door to door, as the apostles refuse to do so, or they do so fearfully, and He patiently walks along the little streets, which have become slippery foul quagmires. But He meets with refusal everywhere.

359.2

They are at the end of the village, where the valley widens out on the pastures of the Trans-Jordan plain. There are still a few houses… and each one is a disappointment…

«Let us look in the fields. John, can you climb up that elm-tree? From the top of it you will be able to see.»

«Yes, my Lord.»

«The elm-tree is slippery because of the rain. He will not be able to climb it and he will hurt himself. And we will thus have an injured companion as well» grumbles Peter.

And Jesus replies meekly: «I will climb it, then.»

«Certainly not!» they shout in chorus. And the fishermen shout louder than the others, adding: «If it is dangerous for us fishermen, what do You expect to do if You have never climbed up masts or ropes?»

«I was going to do it for your sake, to find shelter for you. I do not mind. It is not the rain that troubles Me…» How much sadness! What a sad appeal for loving understanding there is in His voice!

Some listen and become silent. Bartholomew and Matthew say: «It is now too late to do anything. A decision should have been taken earlier.»

«Of course! And not be guided by whim, by deciding to depart from Pella, when it was already raining. You have been obstinate and imprudent and now we are all paying for it. What can You do now? If our purse had been full, all the houses would have been open to us! But You!… Why do You not work a miracle, at least one miracle for Your apostles, since You work miracles even for undeserving people?» says Judas of Kerioth, gesticulating like a madman; he is so aggressive that the others, although they more or less agree with him, feel it is necessary to remind him to respect the Master.

Jesus is already like the Convict looking meekly at His executioners. And He is silent. This silence, which for some time has become more and more frequent in Jesus, foreshadowing His «great silence» before the Sanhedrin, Pilate and Herod, makes me feel so sorry for Him. It reminds me of the silent pauses in the moaning of a dying man, which are not due to soothing of pain, but are the prelude to death. Jesus’ silences seem to be much more eloquent than words, as they express all His grief at men’s lack of understanding and love. And because of His meekness which does not react and of the lowered posture of His head, He looks as if He were already put in chains and handed over to the hatred of men.

«Why don’t You speak?» they ask Him.

«Because I would utter words which your hearts would not understand just now… Let us go. We will walk not to freeze… And forgive Me…»

He turns around quickly, leading the group, while some of its members pity Him, some accuse Him, some contradict their companions.

359.3

John remains slowly behind, deliberately avoiding notice by anyone. He then goes towards a very tall tree,a poplar, I think, or an ash-tree, and after taking off his mantle and tunic, he begins to climb it, half naked as he is, with some difficulty, until the first branches make his ascent easier. He climbs up as swiftly as a cat. At times he slips, but he immediately collects himself and is almost at the top. He scans the horizon in the last light of the day, which is clearer here in the open plain, than in the valley, also because the dark clouds have thinned out. He looks carefully in every direction and at last he makes a gesture of joy. He slides down to the ground very rapidly, puts his clothes on and begins to run. He reaches his companions, overtakes them and is soon beside the Master. Panting because of the effort of climbing and running he says: «There is a hut, Lord… a hut to the east… But we will have to go back… I climbed up a tree… Come…»

«I am going with John this way. If you want to come, do so, otherwise go on as far as the next village on the river. We will meet there» says Jesus seriously and decisively.

Drenched with rain, they all follow Him through the fields. «But we are going back to Jabesh!»

«I can’t see any houses…»

«I wonder what the boy has seen!»

«Perhaps a shed.»

«Or the hut of a leper.»

«We shall get soaked through. These fields are like sponges» grumble the apostles.

359.4

But it is neither a shed nor a leper’s hut what appears behind a group of trees. It is a hut, a low large hut like a poor sheep-fold, half of the roof is thatched and the mud walls can hardly support the four pillars made of coarse stone. A pile-work enclosure is around the hovel and inside it there are vegetables dripping water.

John gives a shout. An old man appears. «Who is it?»

«Pilgrims going to Jerusalem. Give us shelter in the name of God!» says Jesus.

«Certainly. It’s my duty. But you are unlucky. I have little room and no beds.»

«It does not matter. You will at least have a fire.»

The man bestirs himself at the gate and opens it. «Come in and peace be with you.»

They go through the tiny kitchen garden. They go into the only room which is kitchen and bedroom at the same time. A fire is lit in the fireplace. There is tidiness and poverty, and not one utensil more than is necessary.

«See! Only my heart is large and ornate. But if you wish to make the best of it… Have you any bread?»

«No. Just a handful of olives…»

«I have not got enough bread for everybody. But I will prepare something with milk. I have two sheep. They are enough for me. I will go and milk them. Will you give me your mantles? I will hang them up in the fold, at the rear. They will dry a little and tomorrow we will do the rest with the fire.»

The man goes out laden with the damp clothes. They are all standing near the fire enjoying its warmth.

The man comes back with a coarse mat, which he lays on the floor. «Take your sandals off. I will wash the mud off them and hang them up so that they may dry. And I will give you some warm water so that you may wash your feet. The mat is coarse, but it is clean and thick. You will feel it is more comfortable than the cold floor.»

He takes a cauldron full of greenish water, in which some vegetables are boiling, and pours half of it into a basin and half into another vessel. He then adds cold water and says: «There you are. It will refresh you. Wash yourselves. This is a clean cloth.»

In the meantime he busies himself at the fireplace. He makes up the fire, pours the milk into a pot, which he places on the fire. And as soon as it begins to boil he adds some seeds, which look like ground barley or hulled millet. And he stirs the mush.

359.5

Jesus, Who is one of the first to wash Himself, approaches him: «May God grant you grace for your charity.»

«I am only giving back what I received from Him. I was a leper. I was a leper from my thirty-seventh to my fifty-first year of age. Then I became cured. But in the village I found that my wife and relatives had died and my house had been plundered. In any case I was the “leper”… So I came here. And I built my home here, by myself and with the help of God. At first I made a hut with bog grass, then a wooden one. Then I built the walls… Something new each year. Last year I built the fold for the sheep. I bought them selling the mats and wooden utensils that I make. I have an apple-tree, a pear-tree, a fig-tree and a vine. I grow vegetables in the front of the house and I have a small barley field in the rear. I have four couples of doves and two sheep. I will have lambs before long. And I hope they are ewe-lambs this time. I bless the Lord and I ask for no more. And who are You?»

«A Galilean. Have you a prejudice against them?»

«None, although I am of Judaean extraction. If I had had children, I could have had one like You… I now act as a father to my doves… I have become accustomed to being alone.»

«And at Festivities?»

«I fill the mangers and go. I hire a donkey. I rush there, I do what I have to do and come back. I never had as much as a leaf stolen. God is good.»

«Yes, both to those who are good and those who are not so good. But good people are under His wings.»

«Yes, Isaiah also says so[2]… He protected me, He did.»

«But you were a leper» remarks Thomas.

«And I became poor and was left alone. But this is a grace of God, to become a man again and to have a roof and bread. Job was my model in misfortune[3]. I hope to deserve the blessing of God, as he did, not in wealth, but in grace.»

«You will receive it. You are a just man.

359.6

What is your name?»

«Matthias.» He takes the pot off the fire and puts it on the table. He adds butter and honey and puts it back on the fire and says: «I have only six pieces of crockery between plates and bowls. You will have to eat in turn.»

«And what about you?»

«The host is the last to be served. First the brothers sent by God. Here you are. It is ready. And this will do you good.» And he pours ladelfuls of steaming mush into four plates and two bowls. There is no shortage of wooden spoons.

Jesus advises the younger to eat.

«No, You must eat, Master» says John.

«No. Judas had better have his fill, so that he may realize that there is always food for the children.»

The Iscariot changes colour but he eats.

«Are You a rabbi?»

«Yes, I am, and these are My disciples.»

«I used to go to the Baptist, when I was at Bethabara. Do You know anything about the Messiah? They say that He exists and that John pointed Him out. When I go to Jerusalem I always hope to see Him. But I have never been successful. I fulfil the rite and I do not stop there. Probably that is why I never see Him. I am isolated here and then… The people in Perea are not good. I spoke to some shepherds who come here to pasture. They knew Him and told me about Him. What wonderful words! I wonder how beautiful they must be when spoken by Him!…»

Jesus does not reveal Himself. It is His turn now to eat and He does so peacefully near the good old man.

«And now? What shall we do for beds? I give you my bed. But it is one only… I will go to the sheep-fold.»

«No, we will go there. Hay is good enough for those who are tired.»

The meal is over and they decide to lie down in order to be able to leave at dawn. But the old man insists and Matthew, who has a bad cold, sleeps in his bed.

359.7

But it is raining torrents at dawn. How can they leave in such heavy rain? They listen to the old man and stay. In the meantime they brush their clothes and dry them, they grease their sandals and rest. The old man cooks barley again in milk for everybody and he puts some apples under the ashes. That is their meal and they are eating it when they hear a voice from outside.

«Another pilgrim? What shall we do?» says the old man. But he gets up, wraps himself in a coarse woollen water-resistant blanket and goes out. It is warm in the kitchen, but there is no good humour in it. Jesus is silent.

The old man comes back with his eyes wide open. He looks at Jesus and then at the others. He seems to be afraid… he looks uncertain and inquisitive. At last he says: «Is the Messiah among you? Tell me, because the people of Pella are looking for Him to adore Him because of a great miracle He worked. They have been knocking all night at the doors of all the houses as far as the river, as far as the first village… Now, on their way back, they thought of me. Somebody pointed out my house to them. They are outside, in wagons. A large crowd!»

Jesus stands up. The Twelve say: «Don’t go. If You said that it was wise to avoid staying at Pella, there is no sense in showing Yourself now.»

«So! O Blessed! You are Blessed and He Who sent You to me. And I received You! You are Rabbi Jesus, Who… Oh!» The man is on his knees, with his forehead on the floor.

«Yes, I am. But let Me go to those who are looking for Me. Then I will come to you, My good man.» He frees His ankles from the hands of the old man and goes out into the flooded kitchen garden.

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«Here He is! Hosanna!» They jump out of the wagons. There are men and women the young blind fellow cured yesterday and his mother, and also the Gerasene woman. They kneel down, without paying any attention to the mud and they implore: «Come back with us to Pella.»

«No, to Jabesh» shout other people, obviously from that place. «We want You! We are sorry that we drove You away!» shout those from Jabesh.

«No, to Pella with us, as Your miracle is still alive there. You have given light to their eyes. Give light to our souls.»

«I cannot. I am going to Jerusalem. You will find Me there.»

«You are angry because we expelled You.»

«You are disgusted because You know that we believed the slander of a sinner.»

Mark’s mother covers her face weeping.

«Jaia, please tell Him Who loved you to come back.»

«You will find Me in Jerusalem. Go and persevere. Do not be like the winds, which blow in every direction. Goodbye.»

«No. Come. We will abduct You, if You do not come.»

«You shall not raise one hand against Me. That is idolatry, not faith. Faith believes even without seeing. It perseveres even when it is persecuted. It grows greater even without miracles. I am staying with Matthias, who believed without seeing anything and who is a just man.»

«At least accept our gifts: money and bread. We have been told that You gave everything You had to Jaia and his mother. Take a wagon. You can travel in it. You will leave it at Jericho, with Timon, the hotel keeper. Take it. It is raining and will rain. You will be sheltered and will travel quicker. Give us a sign that You do not hate us.»

They are on the other side of the fence, Jesus is on this side: they look at one another and those on the other side are full of excitement. Behind Jesus there is old Matthias, on his knees, with his mouth wide open, and then the apostles, who are all standing.

Jesus stretches out His hand saying: «I will accept your offerings for the poor. But I will not accept the wagon. I am the Poor One among the poor. Please do not insist. Jaia, and you, woman, and you from Gerasa, come here, that I may give you a special blessing.» And when they approach Him, as Matthias has opened the fence, He caresses, blesses and dismisses them. He then blesses all those who have crowded at the gate to give the apostles money and foodstuffs and He dismisses them.

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He goes back into the house…

«Why did You not speak to them?»

«The miracle of the two blind people is My sermon.»

«Why did You not accept the wagon?»

«Because it is better to travel on foot.» And He addresses Matthias: «I would have rewarded you with My blessings. I can now add a little money to cover the expenses that you have met…»

«No, Lord Jesus… I don’t want it. I did that wholeheartedly. And I am doing it now to serve the Lord. The Lord does not pay. He is not obliged to pay. I am the one who received, not You! Oh! this day! It will come with me, with its recollections, as far as the next life!»

«You are right! You will find your mercy towards pilgrims written in Heaven, as well as your prompt faith… As soon as it clears up a little, I will leave you. Those people might come back. They insist as long as they are roused by miracles, then they become as torpid as they were before, or even hostile. I will proceed. So far I have stopped trying to convert them. I now come and pass by, without stopping. I am going towards My destiny, which urges Me. God and man urge Me and I can no longer stop. Love and hatred spur Me. Let those who love Me, follow Me. But the Master will no longer run after indocile sheep.»

«Do they not love You, divine Master?» asks Matthias.

«They do not understand Me.»

«They are wicked.»

«Lust makes them dull.»

Old Matthias no longer dare be as confidential as he was previously. He seems to be standing in front of an altar. Jesus, on the contrary, since He is no longer the Unknown One, is less reserved and speaks to the old man as if he were a relative.

The hours thus go by until early afternoon. The clouds begin to dissipate, promising the end of the rain. Jesus gives the order to depart. And while the old man goes to get the dry mantles, He puts some coins in a box and has some bread and cheese put into a kitchen cupboard.

The old man comes back and Jesus blesses him. He then takes to the road again, turning around now and again to look at the white head leaning over the dark fence.


Notes

  1. mauvaise surprise relatée en 1 M 5, 9-36.
  2. c’est ce que dit Isaïe, en différents endroits et de diverses manières, comme en Is 3, 10.
  3. malheur exposé dans le Prologue du livre, en Jb 1-2. Bénédiction qui en fait l’épilogue : Jb 42, 10-17. Le modèle de Job, cité aussi en 544.6.8 (par la bouche de Lazare mourant), en 555.5 (par Pierre) et en 579.6/7 est celui de l’homme juste frappé par la souffrance sans qu’il y ait eu faute de sa part.

Notes

  1. unpleasant surprise, narrated in: 1 Maccabees 5:9-36.
  2. says so, for example in Isaiah 3:10, which is one of the various points where the concept is affirmed.
  3. misfortune, as related in Job 1-2.