The Writings of Maria Valtorta

564. L’homme de Jabnia et la fin d’Hermastée.

564. The man from Jabneel. The end of Ermasteus.

564.1

Il s’est passé plusieurs jours. Je dis cela, car je vois que les blés, qui dans les dernières visions mesuraient à peine un empan[1], ont beaucoup grandi après les dernières pluies et le beau soleil qui leur a succédé, et se préparent à former des grains. Une légère brise fait onduler les tiges encore tendres des épis. Le vent joue avec les nouvelles frondaisons des arbres fruitiers les plus précoces : à peine leurs fleurs tombées, alors que des pétales voltigent et tombent encore, leurs petites feuilles d’émeraude s’ouvrent, claires, tendres, brillantes, belles comme tout ce qui est vierge et nouveau. Plus tardives, les vignes sont encore nues et noueuses, mais sur les sarments enchevêtrés, d’un cep à l’autre, les bourgeons ont déjà rompu la sombre enveloppe qui les enserrait et, encore clos, ils laissent déjà apparaître le duvet gris argent, nid des pampres et des vrilles à venir. Les festons ligneux et serpentins des vignobles semblent s’assouplir et prendre une grâce nouvelle.

Le soleil, déjà chaud, commence son travail de coloriste et de distillateur des arômes végétaux ; et pendant qu’il peint de teintes plus vives ce qui, hier encore, était pâle, sa chaleur permet de libérer les mille nuances des senteurs des sillons, des prés en fleurs, des champs de céréales, des jardins et des vergers, des bosquets, des murs, du linge étendu à sécher, pour en faire une unique symphonie olfactive qui durera tout l’été, avant de s’éteindre en une violente odeur de moût dans les cuves où les raisins pressés se changent en vin.

On entend tout un concert de chants d’oiseaux dans les feuillages, des agneaux et des brebis qui bêlent doucement dans les troupeaux, mais aussi des chansons d’hommes sur les pentes, les rires des enfants et la verve des femmes. C’est le printemps. La nature aime, et l’homme se réjouit de l’amour de la nature qui, demain, le rendra plus riche, tout comme de ses propres amours qui s’enflamment avec une vivacité nouvelle dans ce réveil serein. Son épouse lui paraît plus aimable, l’homme paraît plus protecteur à sa compagne et les enfants sont plus chers à tous les deux qui, aujourd’hui sourire et travail, seront demain dans leur vieillesse, sourire encore et déclin.

564.2

Jésus passe à travers les champs, qui montent et descendent en suivant les dénivellations de la montagne. Il est seul. Il s’est habillé de lin, puisqu’il a donné à Samuel son dernier vêtement de laine, mais il porte un léger manteau d’un bleu plutôt vif, jeté sur une seule épaule, puis mollement enroulé autour du corps et qu’il retient avec son bras sur la poitrine. Le pan jeté sur le bras se balance légèrement sous la brise très légère qui parcourt la terre, et sur sa tête ondule sa chevelure, qui brille au soleil. Là où il rencontre des enfants, il se penche pour caresser leurs petites têtes innocentes, écouter leurs confidences et admirer ce qu’ils viennent lui montrer comme si c’était un trésor.

Une fillette qui trébuche encore en courant, tant elle est petite, et s’empêtre dans une robe trop longue pour elle, qu’elle a peut-être héritée d’un petit frère un peu plus âgé, arrive. Un sourire illumine ses yeux et découvre ses petites incisives entre ses lèvres rosées. Elle a dans les mains un bouquet de marguerites, autant qu’elle peut en tenir, et elle lève son trophée en disant :

« Tiens ! C’est pour toi. Pour maman, ce sera après. Un baiser, ici ! »

Et de ses menottes, désormais libérées du bouquet que Jésus a pris avec des exclamations d’admiration et de remerciements, elle se frappe la bouche. Elle se tient, la tête renversée, se tendant sur ses pieds déchaussés jusqu’à en perdre presque l’équilibre, dans la vaine tentative d’allonger sa minuscule personne jusqu’au visage de Jésus. Il la prend dans ses bras en riant et s’avance avec elle, qui est accroupie là-haut comme un oiseau sur un grand arbre, vers un groupe de femmes en train de laver des toiles neuves dans les eaux limpides d’un ruisseau avant de les étendre pour qu’elles blanchissent au soleil.

Les femmes penchées sur l’eau se redressent pour saluer, et l’une d’elles dit en souriant :

« Tamar t’a dérangé… Mais elle est là depuis l’aurore à cueillir des fleurs avec l’espoir secret de te voir passer. Elle ne m’en a pas donné une seule, car elle voulait d’abord te les offrir.

– Elles me sont plus chères que les trésors des rois, car elles sont innocentes comme les petits et données par une enfant innocente comme les fleurs. »

Il donne un baiser à la fillette en la déposant par terre et lui sourit :

« Que vienne à toi la grâce du Seigneur. »

Il salue les femmes et continue son chemin en saluant les agriculteurs ou les bergers, qui y répondent à partir des champs ou des prés.

564.3

Il semble descendre du côté qui mène vers Jéricho, mais il revient en arrière pour prendre un autre sentier qui s’élève de nouveau vers les montagnes au nord d’Ephraïm. Ici le sol, bien exposé et à l’abri des vents du nord, porte des moissons plus belles. Le sentier entre les deux champs longe d’un côté des arbres fruitiers à des distances presque régulières, et les bourgeons des prochains fruits sont déjà comme autant de perles le long des branches.

Une route qui descend du nord vers le midi coupe le chemin. Il doit s’agir d’une route assez importante car, au croisement, on voit l’une de ces bornes milliaires dont les Romains se servent, avec une inscription sur la face septentrionale : “ Neapolis ” — gravée en grand avec les caractères lapidaires des Latins, forts comme eux-mêmes — et sous ce nom, en caractères beaucoup plus petits à peine marqués dans le granit : “ Sichem ”; sur la face occidentale : “ Silo-Jérusalem ”; et sur le côté tourné vers le midi : “ Jéricho ”. Du côté du levant, il n’y a aucune indication.

Mais on pourrait dire que, s’il n’y a pas de nom de ville, il y a l’indication d’un malheur humain. En effet, par terre, entre la borne milliaire et le fossé qui longe la route — comme sur toutes les voies entretenues par les Romains, un fossé est creusé pour l’écoulement des eaux en temps de pluies —, git un homme recroquevillé, un paquet de haillons et d’os, peut-être mort.

564.4

Quand il le découvre au milieu des herbes du bord de la route que les ondées de printemps ont rendues luxuriantes, Jésus s’incline sur lui, le touche et l’appelle :

« Homme, qu’as-tu ? »

Un gémissement lui répond. Mais le tas de haillons remue, se retourne, et un visage squelettique, qui pourrait être celui d’un mort, apparaît. Deux yeux au regard fatigué et souffrant observent avec étonnement celui qui se penche sur sa misère. Il tente de s’asseoir en prenant appui sur le sol de ses mains décharnées, mais il est dans un état si lamentable que, sans l’aide de Jésus, il n’y parviendrait pas.

Jésus l’appuie contre la borne milliaire et lui demande :

« Qu’as-tu donc ? Es-tu malade ?

– Oui. »

C’est un oui très faible.

« Mais comment as-tu pu te mettre en voyage, tout seul, dans cet état ? N’as-tu personne ? »

L’homme fait signe que si, mais il est trop affaibli pour répondre.

Jésus regarde autour de lui. Il n’y a personne dans les champs, c’est un endroit vraiment désert. Au nord, presque au sommet d’une colline, se trouvent une poignée de maisons ; à l’ouest, dans la verdure de la pente qui, en gravissant d’autres mamelons, se change de champs en prairies et bosquets, quelques bergers font paître un troupeau de chèvres agitées. Jésus baisse de nouveau les yeux sur l’homme. Il lui demande :

« Si je t’aidais, te sentirais-tu capable de marcher jusqu’à ce village ? »

L’homme secoue la tête et deux larmes coulent sur ses joues si flétries qu’elles en paraissent rugueuses comme s’il était âgé, alors que sa barbe noire montre qu’il est jeune encore. Il rassemble ses forces pour dire :

« Ils m’ont chassé… Peur de la lèpre… Je ne suis pas… Et je meurs… de faim. »

Il meurt de faiblesse. Il se met un doigt dans la bouche et en sort une bouillie verdâtre :

« Regarde… J’ai mastiqué du grain… mais il est encore en herbe.

– Je vais trouver ce berger. Je vais t’apporter du lait tiède. J’aurai vite fait. »

Et au pas de course, il se dirige là où se trouve le troupeau, à environ deux cents mètres au-dessus de la route.

Il rejoint le berger, lui parle, lui indique où se trouve l’homme. Le berger se tourne pour regarder, l’air indécis, se demandant s’il doit écouter la demande de Jésus. Puis il se décide. Il détache le gobelet de bois qu’il porte à sa ceinture comme tous les bergers, et trait une chèvre pour remettre une tasse pleine à Jésus, qui descend avec précaution la pente. Un enfant qui était avec le berger le suit.

564.5

Le voici de retour auprès de l’affamé. Il se met à genoux à ses côtés, lui passe un bras derrière les épaules pour le soutenir et approche le bol, où le lait écume encore, de ses lèvres. Il lui fait boire de petites gorgées, puis il pose le récipient sur le sol en disant :

« Pour l’instant, c’est assez. Tout avaler en une seule fois te ferait du mal. Laisse ton estomac se ranimer en absorbant le lait que je t’ai donné. »

L’homme ne proteste pas. Il ferme les yeux et se tait, observé par pastoureau, tout ému.

Après un moment, Jésus lui présente de nouveau le gobelet pour qu’il boive plus longuement, et il fait ainsi avec des pauses de plus en plus courtes, jusqu’à ce que le lait soit fini. Il rend le bol à l’enfant et le remercie.

L’homme se ranime lentement. Il cherche avec des mouvements encore incertains à se rendre présentable. Il a un sourire de reconnaissance en regardant Jésus, qui s’est assis sur l’herbe près de lui, mais il s’excuse :

« Je te fais perdre du temps.

– Ne te désole pas ! Le temps employé à aimer ses frères n’est jamais perdu. Quand tu iras mieux, nous parlerons.

– Je vais déjà mieux. La chaleur revient dans mes membres, ainsi que la vue… J’ai bien cru que j’allais mourir ici… Mes pauvres enfants ! J’avais perdu tout espoir… Et jusqu’à présent, j’en avais eu tant !… Si tu n’étais pas venu, je serais mort… comme ça… au bord d’une route …

– Cela aurait été très triste, c’est vrai. Mais le Très-Haut a regardé son fils et l’a secouru. Repose-toi un peu. »

L’homme obéit un moment, puis il rouvre les yeux et dit :

« Je me sens revivre. Ah ! si je pouvais me rendre à Ephraïm !

– Pourquoi ? Quelqu’un t’y attend ? Es-tu de là-bas ?

– Non.

564.6

Je suis des campagnes de Jabnia, près de la Grande Mer, mais j’ai pris le chemin de la Galilée, en longeant le rivage jusqu’à Césarée. Je suis allé ensuite à Nazareth, car je souffre ici (il se frappe l’estomac) d’une maladie que personne n’a su guérir et qui m’empêche de travailler la terre. En outre, je suis veuf avec cinq enfants… Quelqu’un de nos régions — car je suis originaire de Gaza, né d’un père philistin et d’une mère syro-phénicienne —, l’un des nôtres donc, qui suivait le Rabbi de Galilée, est venu avec un autre parmi nous, pour nous parler de ce Rabbi. Je l’ai entendu moi aussi et, quand je me suis senti si mal en point, j’ai pensé :

“ Je suis syrien et philistin, une ordure pour Israël. Mais Hermastée disait que le Rabbi de Galilée est aussi bon que pui­ssant ; je le crois et je vais le trouver. ”

Ainsi, à peine venu un meilleur temps, j’ai laissé les enfants à ma belle-mère, j’ai rassemblé le peu de ressources que je pos­sédais — car la maladie en avait englouti beaucoup — et je suis parti chercher le Rabbi. Mais l’argent s’épuise vite en voyage, surtout quand on ne peut pas manger de tout… et il me fallait séjourner dans les auberges quand les douleurs m’empêchaient de marcher. A Séphoris, j’ai vendu mon âne, car je n’avais plus d’argent pour moi et pour donner au Rabbi ce qui lui est dû. Je pensais qu’une fois guéri, j’allais pouvoir manger de tout en route, revenir bientôt à la maison et là, en travaillant dans mes champs et dans ceux d’autres personnes, rétablir ma situation… Mais le Rabbi ne se trouve ni à Nazareth, ni à Capharnaüm. C’est sa Mère qui me l’a appris. Elle m’a dit :

“ Il est en Judée. Cherche-le chez Joseph de Séphoris à Bézéta, ou à Gethsémani. Ils sauront t’indiquer où il est. ”

Je suis revenu sur mes pas. Le mal grandissait et l’argent diminuait. A Jérusalem, où l’on m’avait envoyé, j’ai trouvé des hommes mais pas le Rabbi. Ils m’ont répondu :

“ Oh ! il a été chassé depuis longtemps. Il est maudit par le Sanhédrin. Il s’est enfui, nous ne savons où. ” Je me suis senti mourir… comme aujourd’hui, et même davantage. J’ai questionné des centaines de gens à travers la ville et dans les campagnes. Personne ne savait. Certains pleuraient avec moi. Plusieurs m’ont frappé. Puis, un jour où je m’étais mis à mendier en dehors des murs du Temple, j’ai entendu deux pharisiens dire :

“ Maintenant que l’on sait que Jésus de Nazareth se trouve à Ephraïm… ”

Je n’ai pas perdu de temps et, en dépit de ma faiblesse, je suis arrivé jusqu’ici en mendiant mon pain, de plus en plus déchiré et de plus en plus malade. Dans mon ignorance, je me suis trompé de route… Aujourd’hui, je viens d’ici, de ce village. Il y avait deux jours que je ne mangeais que du fenouil sauvage et que je mâchonnais de la chicorée ainsi que du blé en herbe. On m’a cru lépreux à cause de ma pâleur et on m’a chassé à coups de pierres. Moi, je ne demandais que du pain et je désirais que l’on m’indique la route d’Ephraïm… Je suis tombé ici… Mais je voudrais me rendre à Ephraïm. Je suis si près du but ! Peut-il se faire que je ne l’atteigne pas ? Je crois au Rabbi. Je ne suis pas israélite, mais Hermastée ne l’était pas non plus, et Jésus l’aimait pareillement. Est-il possible que le Dieu d’Israël appesantisse sa main sur moi pour se venger des fautes de ceux qui m’ont engendré ?

– Le Dieu vrai est le Père des hommes, il est juste, mais bon. Il récompense celui qui a la foi et ne fait pas payer aux innocents des fautes qui ne sont pas les leurs.

564.7

Mais pourquoi as-tu dit que, lorsque tu as appris que la demeure du Rabbi était inconnue, tu t’es davantage senti mourir qu’aujourd’hui ?

– Voilà ce que j’ai pensé : “ Je l’ai perdu avant même de l’avoir trouvé. ”

– Ah ! à cause de ta santé ! ”

– Non, pas pour cette seule raison. Mais parce que, d’après les dires d’Hermastée, il me semblait que si je l’avais connu, je n’aurais plus été une ordure.

– Tu crois donc qu’il est le Messie ?

– Oui. Je ne sais pas bien ce qu’est le Messie, mais je crois que le Rabbi de Nazareth est le Fils de Dieu. »

Avec un sourire lumineux, Jésus demande :

« Et es-tu certain que, s’il l’est, il va t’exaucer, toi un incir­concis ?

– J’en suis certain, car Hermastée le disait. Il affirmait : “ Il est le Sauveur de tous. Pour lui, il n’est pas question de juifs ou d’idolâtres, mais seulement de créatures à sauver, car le Seigneur Dieu l’a envoyé pour cela. ” Plusieurs ricanaient. Moi, j’y ai cru. Si je peux lui dire : “ Jésus, aie pitié de moi ”, il m’exaucera. Ah ! si tu es d’Ephraïm, conduis-moi à lui. Peut-être es-tu l’un de ses disciples… »

564.8

Jésus sourit toujours plus et lui conseille :

« Essaie de me demander, à moi, de te guérir…

– Tu es bon, homme. Près de toi, il y a tant de paix ! Oui, tu es bon comme… comme le Rabbi lui-même. Il t’aura sûrement accordé le pouvoir de faire des miracles, car, pour être bon comme tu l’es, tu ne peux qu’être l’un de ses disciples. Ceux qui ont dit l’être m’ont tous paru bons. Mais ne le prends pas mal, si je te dis que tu pourrais bien guérir les corps, mais pas les âmes. Or je souhaiterais que la mienne soit guérie, comme c’est arrivé à Hermastée. Devenir un juste… Et cela, seul le Rabbi peut le faire. Je suis non seulement malade, mais aussi pécheur. Je ne veux pas voir mon corps guéri pour le voir mourir un jour, et l’âme avec lui. Je veux vivre. Hermastée affirmait que le Rabbi est la vie de l’âme, et que l’âme qui croit en lui vivra pour toujours dans le Royaume de Dieu. Conduis-moi au Rabbi. Sois bon ! Pourquoi souris-tu ? Peut-être penses-tu que je suis audacieux de vouloir la guérison sans avoir les moyens d’offrir une obole ? Mais, une fois guéri, je pourrai encore cultiver la terre. J’ai de très beaux fruits. Que le Rabbi vienne à la saison des fruits et je le paierai en lui accordant l’hospitalité aussi longtemps qu’il le voudra.

– Qui t’a dit que le Rabbi demande de l’argent ? Hermastée ?

– Non. Au contraire, lui disait que le Rabbi a pitié des pauvres et qu’il les secourt les premiers. Mais c’est ainsi que l’on agit d’habitude avec tous les médecins et… et avec tous, en somme.

– Mais pas avec lui, je t’assure. Et je t’affirme que, si tu sais élever ta foi jusqu’à demander ici ce miracle, et à le croire possible, tu l’obtiendras.

– Tu dis la vérité ?… En es-tu certain ? Bien sûr, si tu es un de ses disciples, tu ne peux mentir ni te tromper. Et, bien que je regrette de ne pas voir le Rabbi… je veux t’obéir… Probablement, persécuté comme il l’est… il ne veut pas qu’on le voie… il ne se fie plus à personne. Il a raison, néanmoins sa ruine ne viendra pas de nous, mais de vrais Hébreux… Pourtant, voilà. Je dis ici (il se met à genoux avec beaucoup de peine) : “ Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! ”

– Eh bien ! qu’il te soit fait comme ta foi le mérite » réponds Jésus en faisant son geste de commandement sur les maladies.

564.9

L’homme a une sorte d’éblouissement, c’est-à-dire une lumière imprévue. Il comprend — je ne sais si c’est par ouverture de son intelligence ou par une sensation physique, ou par les deux — il comprend qui est celui qui se tient devant lui, et il pousse un cri si aigu que le petit berger, descendu vers la route — peut-être pour voir — hâte le pas.

L’homme est par terre, le visage dans l’herbe, et le pastoureau demande, en le montrant de sa houlette :

« Il est mort ? Il faut autre chose que du lait quand quelqu’un approche de sa fin ! »

Et il hoche la tête.

L’homme entend et il se met sur ses pieds, fort, en bonne santé. Il s’écrie :

« Mort ? Mais je suis guéri ! Je suis ressuscité ! C’est lui qui l’a fait. Je ne souffre plus de la faim, ni des douleurs de la maladie. Je suis comme au jour de mes noces ! Oh ! Jésus béni ! Comment ne t’ai-je pas reconnu plus tôt ? Ta pitié aurait dû me dire ton nom, tout comme la paix que je sentais près de toi ! J’ai été aveugle. Pardonne à ton pauvre serviteur ! »

Et il se jette de nouveau par terre en adoration.

Le berger abandonne ses chèvres pour partir en courant et en sautant vers le hameau.

564.10

Jésus s’assied à côté de l’homme guéri et lui dit :

« Tu m’as parlé d’Hermastée comme d’un mort. Tu connais donc sa fin. Je ne veux qu’une chose de toi : que tu m’accompagnes à Ephraïm et que tu racontes son décès à un homme qui est avec moi. Puis je t’enverrai à Jéricho, chez une femme disciple, afin qu’elle te vienne en aide pour ton voyage de retour.

– Je t’accompagnerai si tu le désires, mais maintenant que je suis en bonne santé, je n’ai plus peur de mourir en route. Même l’herbe suffit à me nourrir et je n’ai pas honte de tendre la main, car ce n’est pas d’une manière crapuleuse, mais avec une intention juste que j’ai dépensé mes biens.

– Je le désire. Tu lui rapporteras que tu m’as vu et que je l’attends ici, que désormais elle peut venir et que personne ne l’importunera. Sauras-tu dire cela ?

– Je le saurai. Ah ! pourquoi te haïssent-ils, toi qui es si bon ?

– Parce que beaucoup d’entre eux ont en eux un esprit qui les y pousse. Allons. »

Jésus se met en route pour Ephraïm, et l’homme le suit avec assurance. Seule sa grande maigreur rappelle sa maladie et ses privations passées.

Pendant ce temps, du petit village descendent beaucoup de personnes qui crient et gesticulent. Elles appellent Jésus, lui demandent de s’arrêter. Mais au lieu de les écouter, Jésus hâte le pas, et elles le suivent…

Le voilà de nouveau dans le voisinage d’Ephraïm. Les cultivateurs qui se préparent à rentrer chez eux, car le soleil va se coucher, le saluent en observant l’homme l’accompagne.

564.11

D’un sentier débouche Judas. Surpris, il sursaute à la vue du Maître. Mais Jésus ne manifeste aucun étonnement. Il se contente de s’adresser à l’homme de Jabnia.

« Voici l’un de mes disciples. Parle-lui d’Hermastée[2].

– Eh ! c’est vite dit. Il était infatigable pour annoncer le Christ, même après qu’il voulut se séparer de son compagnon pour rester chez nous. Il déclarait que nous avions plus que tous besoin de te connaître, Rabbi ; il voulait t’annoncer dans sa patrie, et serait retourné à toi quand il aurait proclamé ton nom dans les moindres hameaux. Il vivait comme un pénitent. Si par pitié une personne lui donnait un pain, il la bénissait en ton nom. Si on lui jetait des pierres, il se retirait en bénissant tout autant. Il se nourrissait de fruits sauvages et de mollusques marins qu’il arrachait aux rochers ou tirait du sable. Plusieurs le traitaient de “ fou ” mais, au fond, personne ne lui voulait du mal. Tout au plus le chassait-on comme s’il était un oiseau de mauvais augure. Un beau jour, on l’a trouvé mort sur le chemin, tout près de mon village, sur la route qui entre en Judée, presque à la frontière. On n’a jamais su de quoi il est mort, mais on raconte tout bas qu’il a été tué par quelqu’un qui ne voulait pas que l’on annonce le Messie. Il avait une profonde blessure à la tête. On a supposé qu’il a été renversé par un cheval, mais je n’y crois pas. Il souriait, étendu dans la poussière. Oui, il paraissait sourire aux dernières étoiles de la plus sereine nuit d’Elul et aux premiers rayons de soleil du matin. Il fut trouvé au point du jour par des jardiniers qui allaient en ville avec leurs légumes, et ils me l’ont appris quand ils sont passés pour prendre mes concombres. J’ai couru voir : il était dans une grande paix.

– Tu as entendu ? demande Jésus à Judas.

– J’ai entendu. Mais ne lui avais-tu pas annoncé qu’il allait te servir et aurait une longue vie ?

– Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. Le temps qui s’est passé assombrit tes souvenirs. Mais ne m’a-t-il pas servi en évangélisant en pays de mission, et n’a-t-il pas eu une longue vie ? Quelle vie pourrait être plus longue que lorsqu’elle est conquise par un homme qui meurt au service de Dieu ? Elle est non seulement longue, mais glorieuse aussi. »

Judas émet ce petit rire étrange qui me choque tellement, et il ne réplique rien.

564.12

Pendant ce temps, le groupe qui vient du hameau a rejoint des habitants d’Ephraïm et tous discutent en montrant Jésus.

Jésus ordonne à Judas :

« Accompagne cet homme à la maison et finis de le restaurer. Il partira après le sabbat, qui commence déjà. »

Judas obéit. Resté seul, Jésus marche lentement en se penchant pour observer les tiges des blés qui commencent à former des épis.

Des habitants d’Ephraïm lui disent :

« Il est beau, ce blé, n’est-ce pas ?

– Oui, mais pas différent de celui des autres régions.

– Certainement, Maître : c’est toujours du blé ! Et il doit forcément être pareil.

– C’est ce que vous pensez ? Alors le blé est meilleur que les hommes. En effet, pourvu qu’il soit semé comme il faut, il produit le même fruit ici qu’en Judée ou en Galilée, ou, disons, dans les plaines au bord de la Grande Mer. Les hommes, au contraire, ne donnent pas le même fruit. La terre aussi est meilleure que les hommes : quand on lui confie une semence, elle la fait germer, sans faire de différence selon que la graine vient de Samarie ou de Galilée.

– C’est vrai. Mais pourquoi dis-tu que la terre et le blé sont meilleurs que les hommes ?

– Pourquoi ?…

564.13

Tout à l’heure, un homme a quémandé un pain, par pitié, aux portes d’un village. Il en a été chassé, car les gens l’ont cru Judéen. Il a été chassé à coups de pierres et au cri de “ lépreux ”, qu’on lui attribuait à cause de sa maigreur, mais qui était due à sa maladie. Le malheureux a failli mourir de faim sur la route. Donc les gens de ce village, ces gens-là qui vous ont envoyés pour m’interroger et qui voudraient venir à la maison où je réside pour voir le miraculé, sont plus mauvais que le blé et la terre, parce qu’ils n’ont pas su — bien que je les travaille depuis longtemps — produire le même fruit que cet homme. Or celui ci n’est ni juif, ni samaritain, il ne m’avait jamais vu ni entendu, mais il a accueilli les paroles d’un de mes disciples et a cru en moi sans me connaître. Mais ces gens sont plus mauvais que ces terres, puisqu’ils ont repoussé l’homme comme étant d’une autre semence. Et maintenant, ils voudraient venir pour satisfaire leur curiosité dévorante, eux qui n’ont pas su satisfaire la faim d’un homme à la dernière extrémité ! Dites-leur que le Maître ne satisfera pas cette vaine curiosité. Et apprenez tous la grande loi de l’amour, sans laquelle vous ne pourriez jamais me suivre. Ce n’est pas l’amour pour moi, ce n’est pas cela seulement qui sauvera vos âmes, mais l’amour de ma doctrine. Or ma doctrine enseigne l’amour fraternel sans distinction de race ni de fortune. Qu’ils s’en aillent donc, ces gens au cœur dur qui ont affligé mon cœur, et qu’ils se repentent s’ils veulent que je les aime. Car, souvenez-vous en tous, si je suis bon, je suis juste aussi ; si je ne fais pas de distinctions et si je vous aime autant que les autres hommes de Galilée et de Judée, cela ne doit pas vous rendre sottement orgueilleux d’être des préférés, ni vous permettre de mal agir, sous prétexte que vous n’auriez pas à craindre de reproches de ma part. Je fais des éloges ou des reproches, selon que la justice le veut, à mes parents et à mes apôtres comme à toute autre personne, et sous mes reproches il y a de l’amour. J’agis ainsi parce que je veux que la justice habite les cœurs, pour pouvoir récompenser un jour celui qui l’a pratiquée. Allez-le-leur rapporter, et que cette leçon produise du fruit en tous. »

Jésus s’enveloppe dans son manteau et se dirige rapidement vers Ephraïm en laissant ses interlocuteurs qui, l’air penaud, vont répéter les paroles du Maître aux habitants du petit village qui n’ont pas eu pitié.

564.1

Several days must have gone by. I am say this because I see that the corn, which in the last visions was hardly a span high, af­ter the last downpour and the lovely sunshine that followed it, is already tall and is about to give ear. Cereals, still tender in their calami, are waved by a light breeze, that plays with the new leaves of the early fruit trees, which after blossoming or while the petals flutter about and fall, have already opened their light-emerald tender shiny little leaves, as beautiful as everything that is pure and new. The vines, still bare and knotty, blossom later, but on the twisted vine-shoots, which interlace with one another from trunk to trunk, the buds have already burst the dark bark that contained them, and, although still closed in it, they display the silver-grey down that is the nest for future new vine-leaves and tendrils, and the woody twisted festoon-like branches seem to be softened by a fresh gracefulness. The sun, which is already warm, has begun its action by colouring everything and distilling vegetable essences, and while with brighter hues it paints what only a few days ago looked paler, it warms and thus extracts various types of scents from clods of earth, from flowery meadows, from fields of cereals, from vegetable gardens and orchards, from woods, from walls, from the very clothes hanging to dry, blending them harmoniously into a smell that will last throughout the summer until it changes into the strong reek of must in the vats where the squashed grapes become wine.

There is a loud chorus of birds singing among trees, and an eager bleating of rams among herds. And the singing of men along slopes. And the cheerful voices of children. And the smiles of wom­en. It is springtime. Nature is in love. And man gets pleasure from the love of nature, which will make him wealthier shortly, and he takes delight in his own love, which becomes livelier in such serene revival, and his wife seems more loving to him, while he appears to be a greater protector to his wife, and their children dear to both of them, as at present they are their joy and their care, and in fu­ture, when they are old, they will be the joy and protection of their declining age.

564.2

Jesus passes along the fields that rise or slope downwards follow­ing the inclination of the mountain. He is alone. He is wearing a linen garment, as He gave His last woollen one to Samuel, and a rather bright-blue mantle thrown over one shoulder, softly wrapped around His body and held by His arm across His chest. The strip covering His arm flutters gently in the light breeze and as He is bare-headed, His hair shines in the sunshine. He goes by and where there are children He bends to caress their little innocent heads and to listen to their little secrets, admiring what they hasten to show Him as if they were treasures.

A little girl, who is so small that she still stumbles when run­ning and gets entangled in the little skirt that is too long for her as she probably inherited it from a brother born before her, arrives near Jesus with a smile that makes her eyes shine and displays her tiny incisors between her pink lips. She is carrying a bunch of daisies, a big bunch held with both hands, as many as her tender tiny hands can hold, and she holds up her trophy saying: «Take it! It’s Yours. To mummy later. A kiss, here!» and with her little hands, now free, as Jesus has taken the little bunch thanking her with words of admiration, she touches her lips and she stands on her bare feet, with her head bent backwards, almost losing her balance, in the vain effort to stretch her tiny person up to the face of Jesus, Who laughs picking her up in His arms and taking her, nestled up there like a little bird on a tall tree, towards a group of women who are steeping new pieces of cloth in the clear water of a stream, to lay them out in the sunshine later, to bleach them.

The women, bent over the water, stand up greeting and one of them says smiling: «Tamar has been giving trouble to You… But she has been picking flowers here since dawn in the secret hope of seeing You pass by. She would not give me one as she wanted to give them to You first.»

«They are dearer to Me than the treasures of kings. Because they are as innocent as children and have been given to Me by one who is as innocent as a flower.» He kisses the little girl putting her down, and He greets her saying: «May the grace of the Lord come to you.» He greets the women and goes on His way greeting the peasants or shepherds who wave to Him from fields or meadows.

564.3

He seems to be going down to the lower part of the country, towards Jericho. But He comes back and takes another path that climbs once again towards the mountains to the north of Ephraim. The crops here are even more beautiful, as the soil is in a more favourable position and sheltered from northern winds. The path runs between two fields and in one of them there are fruit trees planted almost at regular intervals, and the buds of the early fruits are already like pearls on the branches.

A road descending from north to south crosses the path. It must be a rather important road because at the crossroads there is one of the milestones used by the Romans, with: «Neapolis» engraved on its northern side, in the large lapidary letters of the Latins, and strong like them, and under it, in much smaller letters just scratched on the stone: «Shechem»; on the western side: «Shiloh-Jerusalem»; and on the southern one: «Jericho». There is no name on the eastern side.

But one could say that if there is no name of any town, there is the name of a human misfortune. Because on the ground, between the milestone and the ditch along the road, dug to drain rain-water, as in all the roads looked after by the Romans, there is a man, benumbed, a bundle of rags and bones, probably dead.

564.4

Jesus bends over him when He sees him among the weeds that springtime downpours have made luxuriant in the ditch and He touches him asking: «Man? What is the matter with you?»

A moan is the answer. But the tangle moves, unrolls and an emaciated face as white as death appears and two tired, suffering languid eyes look full of astonishment at Him Who is bent over his misery. He tries to sit up pressing his emaciated hands against the ground, but he is so weak that he could not succeed without Jesus’ help.

Jesus helps him and props him with his back against the mile­stone. And He asks him: «What is the matter with you? Are you ill?»

«Yes.» A very faint «yes».

«But why did you set out all alone, in this state? Have you not got anybody?»

The man nods assent, but he is too weak to reply.

Jesus looks around. There is nobody in the fields. The place is really deserted. To the north, almost at the top of a hill, there is a small group of houses; to the west, among the green vegetation of the slope that rises with more hillocks where fields are replaced by meadows and woods, there are some herdsmen among a flock of restless goats. Jesus looks at the man again and asks him: «If I supported you, do you think you would be able to come to that village?»

The man shakes his head and two tears stream down his cheeks that are so withered that they seem wrinkled by age, whereas his raven beard proves that he is still young. He gathers his strength to say: «They drove me away… Fear of leprosy… I am not… And I am dying… of hunger.» He pants out of weakness. He puts a finger into his mouth and pulls out a greenish pulp, saying: «Look… I have been chewing corn… but it is still green grass.»

«I am going to that shepherd. I will bring you some warm milk. I shall not be long.» And He almost runs where the flock is, about two hundred metres above the road.

He arrives at the shepherd, He speaks to him and shows him where the man is. The shepherd turns around to look, he seems un­decided whether he should comply with Jesus’ request. He then makes up his mind. He detaches from his belt the wooden bowl that he carries like all shepherds, he milks a goat and gives the full bowl to Jesus, Who goes down the slope cautiously, followed by a boy who was with the shepherd.

564.5

He is now once again near the starving man. He kneels beside him, He passes one arm around his back to support him and takes the bowl, in which the milk is still covered with foam, close to his lips. He makes him take small sips. He then lays the bowl on the ground saying: «That is enough now. If you take it all at once, it will hurt you. Let your stomach recover some strength with the milk I gave you.»

The man does not protest. He closes his eyes and is silent, while the boy looks at him with much surprise.

After some time Jesus offers him the cup again for a longer drink and He goes on thus, at shorter and shorter intervals, until there is no milk left. He hands the bowl back to the boy and dismisses him.

The man recovers slowly. With gestures that are still shaky he tries to tidy himself somehow. He smiles with gratitude looking at Jesus Who has sat down on the grass beside him. He apologises saying: «I make You waste time.»

«Do not worry! The time spent in loving one’s brothers is never lost. When you feel better we shall speak.»

«I am feeling better. My body is warming up and my eyes… I thought I was going to die here… My poor children! I had lost all hope… And up to that moment I had hoped so much!… If You had not come; I would have died… just like that… along the road…»

«It would have been very sad. That is true. But the Most High looked at His son arid assisted him. Have a little rest now.»

The man obeys for some time. Then he opens his eyes again and he says: «I feel a new man. Oh! I wish I could go to Ephraim!» «Why? Have you got anyone there waiting for you? Do you come from Ephraim?»

«No,

564.6

I come from the country of Jabneel, near the Great Sea. But I went to Galilee, along the shores, as far as Caesarea. Then I went to Nazareth. Because I have a disease here (he touches his stomach). A disease that no one can cure and it does not let me work the land. And I am a widower. With five children… A man from our place, because I was born at Gaza, of a Philistine father and of a Syro­-Phoenician mother, a man of our place was a follower of the Galilean Rabbi and he came to us with another man, and spoke to us of the Rabbi. I heard him, too. And when I was taken ill I said: “I am a Syrian and a Philistine, loathsome to Israel. But Ermasteus used to say that the Rabbi of Galilee is as good as He is powerful. And I believe it. And I am going to Him”. And as soon as the weather improved I left the children to the mother of my wife, I took my few savings, because many had been spent for my disease, And I came looking for the Rabbi. But money does not last long when on travels. Particularly when one cannot eat all kinds of food… and one has to stop at inns when pains prevent one from travelling. At Sephoris I sold my donkey because I had no more money left for myself and to give what was due to the Rabbi. I thought that once I was cured, I would be able to eat everything on the road and thus go back home quickly. And working there in my fields and in those of other people I hoped I would make up for what I had lost… But the Rabbi is neither at Nazareth nor at Capernaum. His Mother told me. She said: “He is in Judaea. Look for Him at the house of Joseph of Sephoris at Bezetha or at Gethsemane. They will be able to tell you where He is”. I came back, on foot. I was getting worse and worse… and my money was diminishing. At Jerusalem, where I had been told to go, I found the people but not the Rabbi. They said to me: “Oh! They drove Him away a long time ago. He is cursed by the Sanhedrin. He ran away but we do not know where”. I… felt as if I were dying… just like today. Nay, more than today. I inquired of hundreds and hundreds of people in town and in the country. No one knew. Some wept with me. Many struck me. Then one day, when I began to beg outside the enclosure of the Tem­ple, I heard two Pharisees say: “Now that we know that Jesus of Nazareth is at Ephraim…”. I lost no time, and weak as I was I came here, begging for some bread, and I was more and more in rags and sick looking. And as I was not familiar with the road, I took the wrong one… Today I came from there, from that village. For two days I had sucked nothing but wild fennels, and I had chewed chicory and green corn. They thought I was a leper because of my pallor and they drove me away pelting me with stones. I was only asking for a piece of bread and to show me the road to Ephraim… I fell here… But I would like to go to Ephraim. I am so close to my goal! Is it possible that I should not reach it? I believe in the Rab­bi. I am not an Israelite. But neither was Ermasteus, and He loved him just the same. Is it possible that the God of Israel may treat me with a heavy hand to revenge Himself for the sins of those who procreated me?»

«The true God is the Father of men. He is just, but good. He re­wards those who have faith and does not make innocents pay for sins not committed by them.

564.7

But why did you say that when you heard that the residence of the Rabbi was unknown, you felt as if you were dying more than you were today?»

«Eh! because I said: “I have lost Him even before finding Him”.»

«Ah! because of your health!»

«No. Not only for that. But because Ermasteus said certain things about Him that I thought that if I became acquainted with Him, I would no longer be corrupt.»

«So, do you believe that He is the Messiah?»

«I do believe it. I do not know exactly what the Messiah is, but I believe that the Rabbi of Nazareth is the Son of God.»

Jesus’ smile is bright when He asks: «And are you sure that if He is such, He will hear you, although you are not circumcised?»

«I am certain because Ermasteus said so. He said: “He is the Saviour of all men. As far as He is concerned there are no Hebrews or idolaters. But only creatures to be saved because the Lord God has sent Him for that”. Many laughed. I believed. If I can say to Him: “Jesus, have mercy on me”, He will hear me. Oh! if You come from Ephraim, take me to Him. Perhaps You are one of His dis­ciples…»

564.8

Jesus smiles more and more and He suggests: «Try and ask Me to cure you…»

«You are good, man. There is so much peace near You. Yes, You are as good as… the Rabbi Himself, and He has certainly granted You the power to work miracles, because to be as good as You are, You can but be one of His disciples. I have found all those, who told me they were such, to be good. But do not be offended if I say to You that You may be able to cure bodies, but not souls. And I would like also my soul to be cured, as it happened to Ermasteus. To be­come a just man… And only the Rabbi can do that. I am a sinner besides being diseased. I do not want to be cured in my body and then die one day also with my soul. I want to live. Ermasteus said that the Rabbi is the Life of the soul and that the soul that believes in Him lives for good in the Kingdom of God. Take me to the Rab­bi. Be good! Why are You smiling? Probably because You think that I am bold in wanting to be cured without being able to give an offer­ing? But once I am cured I shall be able to cultivate the land once again. I have beautiful fruit. Let the Rabbi come when the fruit ripens and I will pay Him with hospitality as long as He wishes.»

«Who told you that the Rabbi wants money? Ermasteus?»

«No. On the contrary he used to say that the Rabbi takes pity on the poor and He assists them first. But that is the custom with all doctors and… and with everybody, in short.»

«But not with Him. I can assure you. And I tell you that if you can urge your faith to ask for the miracle here, and to believe it pos­sible, you will have it.»

«Is what You say true?.» Are You sure? Of course, if You are one of His disciples you cannot lie or be wrong. And although I am sor­ry not to see the Rabbi…, I want to obey You… Perhaps, persecuted as He is… He does not want to be seen… He trusts no one any longer. You are right. But we shall not be the ones who will ruin Him. It will be the true Hebrews… But, well. I say here (he kneels down with difficulty): “Jesus, Son of God, have mercy on me!”»

«And let it be done to you as your faith deserves» says Jesus mak­ing His gesture of authority over diseases.

564.9

The man seems to be dazzled as if he were struck by a sudden light. The man realises – I do not know whether through a flash of his intellect or through a physical sensation or through both at the same time – who the Man is Who is before him, and he utters such a shrill cry that the herdsman, who had come down towards the road prob­ably to see, quickens his pace.

The man is on the ground with his face in the grass. And the herdsman pointing at him with his crook asks: «Is he dead? More than milk is required when a man is done for!» and he shakes his head.

The man hears and stands up, strong and healthy. He shouts: «Dead? I am cured! I am a new man. He has done this to me. I am no longer languishing with hunger or suffering from any disease. I feel as I did the day I got married! Oh! blessed Jesus! How did I not recognise You before?! Your pity should have told me Your name! The peace I experienced near You! It was silly of me. For­give Your poor servant!» And he throws himself on the ground once again, worshipping.

The herdsman leaves his goats and goes towards the little village running and jumping.

564.10

Jesus sits down near the cured man and says: «You were speak­ing to Me of Ermasteus, as if he were dead. So you know how he died. I want only one thing of you. That you come to Ephraim with Me and mention how he died to a man who is with Me. Then I will send you to Jericho, to a woman disciple of Mine, so that she may help you on your return trip.»

«If You wish so, I will go. But, now that I am healthy, I am no longer afraid of dying on the road. Even grass can nourish me and it is not shameful to beg because I did not spend everything I had on orgies, but for an honest purpose.»

«That is what I want. You will tell her that you have seen Me and that I am waiting for her here. She can come now. No one will an­noy her. Will you be able to tell her that?»

«Yes, I will. Ah! Why do they hate You, when You are so good?»

«Because many men are possessed by demons. Let us go.»

Jesus sets out towards Ephraim and the man follows Him without faltering. Only his remarkable leanness is the sign of his past dis­ease and privations.

In the meantime many people are coming down from the little village shouting and gesticulating. They call Jesus. They tell Him to stop. Jesus does not listen to them, on the contrary He quickens His pace. And they follow Him …

There He is once again near Ephraim. The peasants who are get­ting ready to go home, as the sun is beginning to set, greet Him and look at the man who is with Him.

564.11

Judas of Kerioth appears suddenly from a lane. He starts with surprise seeing the Master.

But Jesus does not show any surprise. He only addresses the man saying: «This is one of My disciples. Tell him about Ermasteus.»

«Eh! it is soon said. He was untiring in preaching the Christ, also after he decided to part from his companion to stay with us. He said that we are in greater need than anybody else to know You, Rabbi, and that he wanted to make You known to his fatherland; and that he would go back to You after he had announced your name publicly in all the smallest villages. He lived like a penitent. If some pitiful people gave him some bread he blessed them in Your name. If they threw stones at him, he would withdraw blessing them just the same and he fed on wild fruit or on sea mollusks that he picked off reefs or he dug in the sand. Many said that he was “mad”. But nobody really hated him. At the most they drove him away as is he were a man of ill omen. One day they found him dead along a road, not far from my place, on the road that takes one into Judaea, almost at the border. It was never known what he died of. But the rumour is that he was killed by somebody who did not want the Messiah to be preached. He had a large wound on his head. They said that he had been trampled by a horse. But I do not believe that. He still smiled stretched out on the dust of the road. Yes. He really seemed to be smiling at the last stars of the clearest night in the month of Elul and at the rising sun in the morning. Some market-gardeners found him at daybreak, while they were going to town with their vegetables, and they told me when they came to collect my cucumbers. I rushed there to see him. He was resting in great peace.»

«Have you heard?» Jesus asks Judas.

«Yes, I have. But did You not tell him that he would serve You and have a long life?»

«I did not say exactly that. The time that has gone by has obscured your mind. Has he not served Me evangelizing in places of mission, and has he not got a long life? Which life is longer than that con­quered by those who die in the service of God? Long and glorious.»

Judas has that sly laugh that annoys me so much, but he does not reply.

564.12

654.12 In the meantime those from the little village have joined many people from Ephraim and they are speaking to them pointing at Jesus.

Jesus says to Judas: «Take the man home and finish restoring him. He will leave after the Sabbath that is just beginning.»

Judas obeys and Jesus remains all alone and He walks slowly bending to watch some stalks of corn, on which slight indications of ears are beginning to appear.

Some men from Ephraim ask Him: «This corn is beautiful, isn’t it?»

«Beautiful. But the same as that of other regions.»

«Of course, Master. It’s all corn! It must be the same.»

«Do you think so? Then corn is better than men. Because if it is skilfully sown it yields the same fruit here as in Judaea or Galilee or, we can say, in the plains along the Great Sea. Men, instead, do not yield the same fruit. And also the soil is better than men. Be­cause when a seed is entrusted to it, it is good to the seed without making any difference whether the seed is from Samaria or Judaea.»

«It is so. But why do You say that corn and soil are better than men?»

«Why?…

564.13

654.13Not long ago a man begged for a piece of bread out of pity, at the gate of a village. And he was driven away because the people of that place thought he was a Judaean. He was expelled as people threw stones at him and calling him a “leper”, which he thought referred to his thinness, but was intended for his origin. And that man almost died of starvation along the road. Thus the people of that village, the people that sent you to question Me and would like to come to the house where I live, to see the man who was cured miraculously, are worse than corn and clods of earth. Be­cause they were not able, although they had been well taught by Me for a long time, to bear the same fruit as was yielded by that man, who is neither a Judaean nor a Samaritan and had never seen or heard Me, but had accepted the words of one of my disciples and believed in Me without knowing Me. And because they are worse than the clods of earth, as they rejected the man because he was of a different seed. They would now like to come to satisfy their hun­ger for curiosity, whilst they were not able to satisfy the hunger of a languishing man. Tell them that the Master will not satisfy such vain curiosity. And you all had better learn the great law of love without which you will never be able to be my followers. It is not your love for Me that by itself will save your souls. But it is the love for My doctrine. And My doctrine teaches brotherly love without distinction of race and census. So let those hard-hearted people who have grieved my Heart go away, and let them repent If they want Me to love them. Because, bear this in your minds, if I am good, I am also just; if I make no distinctions and I love you as I love those of Galilee and Judaea, that must not make you so stupidly, proud as to think that you are the favourite people or authorise you to do wrong without being afraid of being reproached by Me. I praise and reproach, according to justice, My relatives and apostles as well as any other person, and there is love in My reproach. And I do so because I want justice in the hearts of people so that one day I may reward those who have practised it. You may go and inform the others so that the lesson may bear fruit in everybody.»

Jesus wraps himself in his mantle and strides towards Ephraim, leaving His interlocutors who go away rather dejectedly to repeat the Master’s words to the people of the unmerciful village.


Notes

  1. un empan : ancienne mesure de longueur, formée de l’intervalle existant entre l’extrémité du pouce et celle du petit doigt, dans leur écart maximal.
  2. Hermastée, dont la disparition avait été interprétée par Judas (en 556.3) comme une défection.