89.1
A peine une lueur de lumière. Sur la porte d’une misérable cabane – ce serait lui faire trop d’honneur de la qualifier de maison –, Jésus se trouve avec les siens et Jonas ainsi que d’autres paysans pauvres comme lui. C’est l’heure de l’adieu.
« Je ne te verrai plus, mon Seigneur ? demande Jonas. Tu as apporté la lumière à nos cœurs. Ta bonté a fait de ces jours une fête qui durera toute la vie. Mais tu as vu comment nous sommes traités. On prend mieux soin des animaux que de nous et on traite plus humainement les arbres : ils représentent de l’argent. Nous ne sommes, nous, que des machines à procurer de l’argent. Et on nous exploite jusqu’à ce que nous mourions, à bout de forces. Mais tes paroles ont été pour nous de véritables caresses d’ailes angéliques. Le pain nous a semblé plus abondant et meilleur parce que tu l’as mangé avec nous, ce pain qu’il ne donne même pas à ses chiens. Reviens le rompre avec nous, Seigneur. C’est seulement parce que c’est toi que j’ose le dire. Pour tout autre, ce serait l’offenser que de lui offrir un abri et une nourriture que dédaigne le mendiant. Mais toi…
– Mais moi, j’y trouve un parfum et une saveur célestes parce que foi et amour y règnent. Je reviendrai, Jonas, je reviendrai. Pour ta part, reste à ta place, comme un animal lié aux brancards. Que ta place soit ton échelle de Jacob. Et, réellement, les anges vont et viennent entre le Ciel et toi, attentifs à recueillir tous tes mérites pour les porter à Dieu. Mais je viendrai vers toi, pour élever ton âme. Demeurez-moi tous fidèles. Ah ! Je voudrais vous donner une paix humaine également. Mais je ne le puis. Il me faut vous dire : souffrez encore. Et c’est douloureux pour une personne qui aime…
– Seigneur, si tu nous aimes, il n’est plus de souffrance. Auparavant, nous n’avions personne pour nous aimer… Ah ! Si je pouvais, moi au moins, voir ta Mère !
– Ne t’inquiète pas, je te l’amènerai. Quand la saison sera plus douce, je viendrai avec elle. Ne t’expose pas à des châtiments inhumains par hâte de la voir. Sache l’attendre comme on attend le lever d’une étoile, de la première étoile. Elle t’apparaîtra à l’improviste comme la première étoile du soir qu’on ne voyait pas et qui soudain scintille dans le ciel. Pense même que, dès maintenant, elle répand ses dons d’amour sur toi. Adieu, vous tous ! Que ma paix vous protège contre les duretés qui vous angoissent. Adieu, Jonas. Ne pleure pas. Tu as attendu tant d’années avec une foi patiente ! Je te promets maintenant une attente qui sera bien courte. Ne pleure pas. Je ne te laisserai pas seul. Ta bonté a essuyé mes larmes d’enfant. Ma bonté ne suffit-elle pas à essuyer les tiennes ?
– Oui… mais tu pars… et moi je reste…
– Mon ami, Jonas, ne me laisse pas partir accablé par le poids de ne pouvoir te soulager…
– Je ne pleure pas, Seigneur… Mais comment ferai-je pour vivre sans plus te voir, maintenant que je te sais en vie ? »
Jésus caresse encore le visage défait du vieillard, puis s’éloigne. Mais, parvenu la limite de la misérable cour, il ouvre les bras et bénit la campagne. Puis il s’éloigne.
« Qu’est-ce que tu as fait ? demande Simon qui a remarqué ce geste inhabituel.
– J’ai imprimé un sceau sur toutes les choses pour que les démons ne puissent, en leur nuisant, nuire à ces malheureux. Je ne pouvais rien de plus…