Pierre rentre :
« Mais, Maître, cette femme est folle ! Sais-tu où elle habite ? Presque sur la rive du fleuve dans une bicoque de bois sous un buisson. Il a peut-être servi autrefois à un pêcheur ou à un bûcheron… Qui sait ? Je n’aurais jamais pensé que dans cet endroit humide, dans un fossé, au milieu d’un amas de ronces, il y avait une pauvre femme. Et je lui ai dit : “ Parle et sois sincère. Es-tu lépreuse ? ” Elle m’a répondu dans un souffle : “ Non. ” “ Jure-le ”, ai-je dit. Elle a alors répondu : “ Je le jure. ” “ Fais attention, car si tu l’es et tu ne le dis pas, si tu viens près de la maison et que j’apprends que tu es impure, je te fais lapider. Mais si tu es poursuivie, si tu es voleuse ou meurtrière, et que tu restes ici par peur de nous, ne crains aucun mal. Maintenant, sors de là. Tu ne vois pas que tu es dans l’eau ? As-tu faim ? As-tu froid ? Tu trembles. Je suis âgé, tu le vois. Je ne te fais pas la cour. Agé et honnête. Ecoute-moi donc. ” Voilà ce que j’ai dit, mais elle n’a pas voulu venir. Nous allons la trouver morte, car elle est vraiment dans l’eau. »
Jésus est pensif. Il regarde les douze visages qui le regardent aussi. Puis il dit :
« Que devons-nous faire, à votre avis ?
– Mais, Maître, c’est à toi de décider.
– Non. Je veux que ce soit vous qui jugiez. C’est une situation où l’estime que l’on a de vous aussi est en cause. Et ce n’est pas à moi de faire pression sur votre droit à la protéger.
– Au nom de la miséricorde, moi je dis qu’on ne peut la laisser là » dit Simon.
Barthélemy ajoute :
« Je dirais de la mettre pour aujourd’hui dans la grande pièce. Les pèlerins n’y vont-ils pas ? Elle peut y aller, elle aussi.
– D’ailleurs, c’est une créature comme toutes les autres, ajoute André.
– Et puis, aujourd’hui, il ne vient personne, par conséquent…, constate Matthieu.
– Je proposerais de l’abriter aujourd’hui et d’en parler demain au régisseur. C’est un brave homme, dit Jude.
– Tu as raison, bravo ! Et il a bon nombre d’étables vides. Une étable, c’est toujours un palais royal en comparaison de cette espèce de barque défoncée ! S’exclame Pierre.
– Va le lui dire, alors, l’encourage Thomas.
– Les jeunes n’ont pas encore parlé, fait remarquer Jésus.
– Pour moi, tout ce que tu fais est bien » dit son cousin Jacques.
Quant à l’autre Jacques et son frère :
« Nous sommes d’accord.
– Je pense seulement au cas malheureux où quelque pharisien en serait informé, intervient Philippe.
– Oh, même si nous partions dans les nuages, dit Judas, crois-tu qu’ils ne nous accuseraient pas ? Ils n’accusent pas Dieu parce qu’il est loin. Mais s’ils pouvaient être aussi prêts de lui qu’Abraham, Jacob et Moïse, ils lui feraient des reproches… Qui est exempt de fautes pour eux ?
– Alors, allez lui dire de venir s’abriter dans le logement des pèlerins. Toi, Pierre, vas-y avec Simon et Barthélemy. Vous êtes âgés et ferez moins d’impression à la femme. Et dites-lui que nous lui donnerons une nourriture chaude et un vêtement sec. C’est celui qu’a laissé Isaac. Vous voyez que tout sert, même un vêtement de femme donné à un homme… »
Les jeunes rient parce qu’il doit y avoir eu quelque amusante plaisanterie à propos de l’habit en question.
Les trois plus âgés partent… et reviennent peu de temps après.
« Elle ne voulait pas… mais elle a fini par venir. Nous lui avons juré que nous ne la dérangerions jamais. Maintenant, je lui porte de la paille et le vêtement. Donne-moi des légumes et un pain. Elle n’a rien à manger aujourd’hui. En fait… qui va en tournée sous un tel déluge ? »
Le brave Pierre sort avec ses trésors.