410.1
« J’ai hâte d’arriver sur les montagnes ! » s’exclame Pierre en haletant.
Il essuie la sueur qui coule le long de ses joues et de son cou.
« Comment ? Toi qui détestais les montagnes, voilà que tu les désires ? » demande Judas d’un ton sarcastique.
Voyant s’évanouir la peur d’être découvert, il est redevenu prétentieux et insolent.
« Oui, vraiment, maintenant je les désire. A cette saison, elles sont agréables. Jamais autant que ma mer… Elle, ah !… D’ailleurs… je ne sais pas pourquoi les champs sont plus chauds après la moisson. C’est toujours le même soleil, pourtant…
– Ce n’est pas qu’ils soient plus chauds. C’est qu’ils sont plus tristes et qu’on se lasse de les voir ainsi plus que lorsque les blés sont là, répond avec bon sens Matthieu.
– Non, Simon a raison. Ils sont insupportablement chauds après la moisson. On n’a jamais connu pareille chaleur, dit Jacques, fils de Zébédée.
– Jamais ? Et que fais-tu de celle que nous avons subie en allant chez Nikê ? réplique Judas.
– Elle n’était pas aussi forte que celle-ci ! lui répond André.
– Bien sûr ! L’été est en avance de quarante jours et le soleil tape en conséquence, insiste Judas.
– C’est un fait que les chaumes dégagent plus de chaleur que les champs couverts d’épis, et cela aussi s’explique. Le soleil, qui auparavant s’arrêtait à la surface des épis, chauffe maintenant directement le sol nu et brûlé. Ce dernier réverbère sa chaleur vers le haut, au contraire du soleil dont les rayons descendent vers le bas, et l’homme se trouve pris entre deux feux » dit sentencieusement Barthélemy.
Judas rit ironiquement et fait une profonde salutation à son compagnon :
« Rabbi Nathanaël, je te salue et je te remercie de ta docte leçon. »
Il est insolent comme jamais. Barthélemy le regarde… et se tait. Mais Philippe le défend :
« Il n’y a pas de quoi ricaner ! Son explication est juste ! Tu ne voudrais sûrement pas nier une vérité que des millions de cerveaux de bon sens ont jugée vraie, logique, facile à constater.
– Mais oui, mais oui ! Je sais bien que vous êtes savants, expérimentés, pleins de bon sens, bons, parfaits… Vous êtes tout ! Tout ! Moi seul suis la brebis noire du blanc troupeau !… Moi seul suis l’agneau bâtard, l’opprobre qui se révèle et prend des cornes de bélier… Moi seul suis le pécheur, l’imparfait, la cause de tout mal parmi nous, en Israël, dans le monde… peut-être aussi dans les étoiles… Je n’en peux plus ! Je n’en peux plus de voir que je suis le dernier, alors que des nullités comme ces deux imbéciles qui parlent avec le Maître sont admirés comme deux oracles saints, j’en ai assez de…
– Ecoute, mon garçon… » commence à dire Pierre, qui rougit davantage sous l’effort qu’il fait pour se contenir qu’à cause de la chaleur.
Mais Jude l’interrompt :
« Tu évalues les autres selon ta propre mesure ? Cherche donc à être toi-même une “ nullité ” comme le sont mon frère Jacques et Jean, fils de Zébédée, et il n’y aura plus d’imperfections dans le groupe des apôtres.
– N’ai-je pas raison ? L’imperfection, c’est moi. Ah ! c’en est trop ! Mais c’en est…
– Oui, en effet je crois que Joseph nous a fait boire trop de vin… et avec cette chaleur, cela fait mal… Cela fait tourner le sang… » intervient très calmement Thomas pour changer en plaisanterie la dispute qui s’enflamme.