68.1
Je vois Jésus, accompagné de Judas, pénétrer dans l’enceinte du Temple et, après avoir franchi la première terrasse – ou, si l’on préfère, la première plate-forme –, s’arrêter dans un endroit entouré de portiques qui borde une grande cour pavée de marbres de couleurs variées. L’endroit est fort beau et très fréquenté.
Jésus regarde autour de lui et voit une place qui lui plaît. Mais avant de s’y rendre, il dit à Judas :
« Appelle-moi le magistrat responsable. Je dois me faire reconnaître pour qu’on ne dise pas que je manque aux coutumes et au respect.
– Maître, tu es au-dessus des coutumes, et personne plus que toi n’a le droit de parler dans la Maison de Dieu, toi, son Messie.
– Nous le savons toi et moi, mais pas eux. Je ne suis pas venu pour scandaliser ni pour enseigner à violer non seulement la Loi, mais aussi les coutumes. Au contraire : je suis venu justement pour enseigner le respect, l’humilité et l’obéissance et pour supprimer les scandales. C’est pourquoi je veux demander à pouvoir parler au nom de Dieu, en faisant reconnaître par le magistrat responsable que je suis digne de le faire.
– La dernière fois, tu ne l’as pas fait.
– La dernière fois, j’étais brûlé par le zèle de la Maison de Dieu profanée par trop de choses. La dernière fois, j’étais le Fils du Père[1], l’Héritier qui, au nom du Père et par amour de ma Maison, agissait avec majesté, majesté à laquelle magistrats et prêtres sont inférieurs. Maintenant, je suis le Maître d’Israël et j’enseigne aussi cela à Israël. Et puis, Judas, crois-tu que le disciple soit au-dessus du Maître ?
– Non, Jésus.
– Et toi, qui es-tu ? Et qui suis-je ?
– Tu es le Maître, moi le disciple.
– Alors, si tu reconnais qu’il en est ainsi, pourquoi veux-tu faire la leçon au Maître ? Va et obéis. Moi, j’obéis à mon Père. Toi, obéis à ton Maître. La première condition pour être fils de Dieu, c’est d’obéir sans discuter, en pensant que le Père ne peut que donner des ordres saints. Et la première condition du disciple est d’obéir à son Maître en pensant que le Maître sait et ne peut donner que des ordres justes.
– C’est vrai. Pardon. J’obéis.
– Je te pardonne. Va. Et, Judas, prends bien conscience encore d’une chose, rappelle-toi ceci. Rappelle-le-toi toujours à l’avenir…
– D’obéir ? Oui.
– Non, rappelle-toi que, moi, je me suis toujours montré respectueux et humble envers le Temple. Envers le Temple, c’est-à-dire envers les classes dominantes. Va. »
Judas le regarde d’un air pensif, interrogateur… mais il n’ose pas l’interroger davantage, et il s’en va, méditatif.