Après quelque temps, les apôtres montent en groupe avec l’enfant et Jean d’En-Dor. Les femmes les suivent avec les plats et les lampes. Lazare arrive en dernier en compagnie de Simon.
A peine entrés dans la pièce, ils s’exclament :
« Ah, cela venait d’ici ! » en humant l’air empli du parfum de roses, malgré les portes grandes ouvertes.
« Mais qui a parfumé ainsi cette pièce ? Marthe, peut-être ? demandent plusieurs.
– Ma sœur n’a pas quitté la maison de la journée, après les repas, répond Lazare.
– Alors qui ? Quelque satrape assyrien ? plaisante Pierre.
– L’amour d’une femme rachetée, dit sérieusement Jésus.
– Elle pouvait faire l’économie de cet inutile étalage de rédemption et donner aux pauvres ce qu’elle a dépensé. Il y en a tellement ! Et ils savent que nous faisons des distributions. Je n’ai plus le moindre sou, intervient Judas sur un ton irrité. Or il nous faut acheter l’agneau, louer une pièce pour le repas de Pâque et…
– Mais je vous ai tout offert moi-même, rétorque Lazare.
– Ce n’est pas juste. Le rite perd de son charme. La Loi dit : “ Tu prendras l’agneau pour toi et ta maison. ” Elle ne dit pas : “ Tu accepteras l’agneau. ” »
Barthélemy se retourne brusquement, ouvre la bouche, puis la referme. Pierre devient cramoisi sous l’effort qu’il fait pour se taire. Mais Simon le Zélote, qui est chez lui, croit pouvoir parler :
« Tout cela, ce sont des subtilités rabbiniques… Je te prie de les laisser tomber et, en échange, de rester respectueux envers mon ami Lazare.
– Bravo, Simon ! »
S’il ne parle pas, Pierre va éclater.
« Bravo ! Il me semble aussi qu’on oublie un peu trop que seul le Maître a le droit d’enseigner… »
Pierre dit “ on oublie ” en faisant un effort héroïque pour ne pas préciser : “ Judas oublie. ”
« C’est vrai… mais… je suis nerveux, voilà. Excuse-moi, Maître.
– Oui. Et je te réponds aussi. La reconnaissance est une grande vertu. Je suis reconnaissant à Lazare, comme cette femme rachetée m’a été reconnaissante. Moi, je répands sur Lazare le parfum de ma bénédiction, même pour ceux de mes apôtres qui ne savent pas le faire, moi qui suis votre chef à tous. Cette femme a répandu à mes pieds le parfum de sa joie d’être sauvée. Elle a reconnu le Roi, et elle est venue à lui avant beaucoup d’autres sur lesquels le Roi a répandu plus d’amour que sur elle. Laissez-la faire sans la critiquer. Elle ne pourra assister à ma proclamation ni à mon onction. Sa croix est déjà sur ses épaules. Pierre, tu as demandé s’il était venu ici un satrape assyrien. En vérité, je te dis que même l’encens des Mages, si pur et si précieux qu’il ait pu être, n’était pas plus suave, plus précieux que ceci. L’essence s’est détrempée dans ses larmes, et c’est pour cela qu’elle est si pénétrante : l’humilité soutient l’amour et le rend parfait. Mettons-nous à table, mes amis… »
Et la vision cesse avec l’offrande de la nourriture.