Comme ils le font souvent en marchant, et peut-être pour alléger par cette distraction la monotonie de leurs pérégrinations incessantes, les apôtres discutent : ils rappellent et commentent les derniers événements, interrogent de temps à autre le Maître qui généralement parle peu, ou seulement pour n’être pas discourtois, ne réservant cette fatigue que pour les moments où il faut instruire les gens ou ses apôtres, corriger les idées fausses, ou réconforter des malheureux.
Jésus est la “ Parole ”, mais certainement pas le “ bavardage ” ! Patient et aimable comme nul autre, jamais il ne montre son ennui de devoir répéter une idée, une, deux, dix, cent fois, pour la faire entrer dans les têtes cuirassées par les préceptes pharisaïques et rabbiniques, sans se soucier de sa propre fatigue — qui parfois est si grande qu’elle devient une souffrance — pour soulager la souffrance physique ou morale d’une personne. Mais il est visible qu’il préfère se taire, s’isoler dans un silence méditatif qui peut durer plusieurs heures s’il n’en est pas arraché par quelqu’un qui l’interroge. Généralement, il marche un peu devant ses apôtres, la tête légèrement inclinée, la levant de temps en temps pour regarder le ciel, la campagne, les personnes, les animaux. Regarder, ai-je dit, mais ce n’est pas le mot juste. Je dois dire : savourer. Car c’est un sourire, un sourire de Dieu, qui jaillit de ces pupilles pour caresser le monde et les créatures, un sourire-amour. C’est un amour qui transparaît, qui se répand, qui bénit, qui purifie la lumière de son regard, toujours intense, et d’autant plus quand il sort du recueillement…