Ce soir-là, le repos du sabbat avait déjà commencé. Je parlais avec Jean de Jésus, de ce qui le concernait. La soirée était paisible. Le sabbat avait endormi tout bruit de travaux humains et l’heure éteignait toute voix d’homme ou d’oiseau. Seuls les oliviers bruissaient au vent du soir, et l’on aurait dit qu’un vol d’anges effleurait les murs de la maison solitaire.
Nous parlions de Jésus, du Père, du Royaume des Cieux. Parler de la charité et du Royaume de la charité, c’est s’enflammer d’un feu vivant, consumer les liens de la matière afin de rendre à l’esprit la liberté de partir en envols mystiques. Et si le feu est retenu dans les limites que Dieu met pour garder les créatures sur la terre à son service, on peut vivre et brûler, en trouvant dans son ardeur, non pas un épuisement, mais un achèvement de vie. Mais quand Dieu enlève ces limites et laisse au Feu divin la liberté de pénétrer et d’attirer à lui l’âme sans aucune mesure, alors l’esprit répond à l’Amour sans davantage de mesure, il se sépare de la matière et vole là où l’Amour le pousse et l’invite. C’est alors la fin de l’exil et le retour à la Patrie.
Ce soir-là, à l’ardeur irrésistible, à la vitalité sans bornes de mon esprit, s’unit une douce faiblesse, un mystérieux sentiment d’éloignement de la matière, de ce qui l’entourait, comme si le corps s’endormait par lassitude, alors que l’intelligence et la raison, encore très vives, s’abîmaient dans les splendeurs de Dieu.
Jean, en témoin affectueux et prudent de toute ma conduite depuis qu’il était devenu mon fils adoptif, selon la volonté de mon Fils unique, me persuada doucement de me reposer sur mon lit et me veilla en priant.
Le dernier son que j’entendis sur la terre fut le murmure des paroles de Jean, l’apôtre vierge. Ce fut pour moi comme la berceuse d’une mère près d’un berceau. Elles accompagnèrent jusqu’au Ciel mon âme dans sa dernière extase, trop sublime pour être exprimable.