238.1
« Il y aura peut-être de la tempête aujourd’hui, Maître. Tu vois ces bandes couleur de plomb qui arrivent de derrière l’Hermon ? Et tu vois comme le lac se ride ? Tu sens le souffle de la tramontane qui alterne avec les bouffées chaudes de sirocco ? Ces tourbillons sont un signe évident de tempête.
– Dans combien de temps, Simon ?
– Avant la fin de l’heure de prime. Regarde comme les pêcheurs se hâtent de revenir. Ils sentent le lac qui menace. Dans peu de temps, il va prendre lui aussi la couleur du plomb, puis de la poix. Alors la furie se déchaînera.
– Mais il paraît si calme ! Dit Thomas, incrédule.
– Toi, tu connais l’or, et moi je connais l’eau ! Ça va se passer comme je le dis. Ce n’est même pas une tempête imprévue. Elle se prépare avec des signes évidents. L’eau est calme en surface, à peine ce crêpé qui a l’air d’une plaisanterie. Mais si tu étais en barque ! Tu sentirais comme des milliers de chiquenaudes qui heurtent la carène et secouent étrangement la barque. L’eau bouillonne déjà au-dessous. Attends que le ciel donne le signal, et tu verras ensuite !… Laisse la tramontane se mêler au sirocco ! Et puis… Ohé, les femmes ! Rentrez ce que vous avez étendu et mettez vos bêtes à l’abri ! Il va bientôt tomber des cordes. »
En effet le ciel devient de plus en plus verdâtre, avec des traînées couleur d’ardoise dues à l’invasion continuelle de bandes de nuages qui semblent être vomies par le grand mont Hermon. Elles repoussent l’aurore dans la direction d’où elle venait, comme si l’heure revenait vers la nuit au lieu d’avancer vers midi. Seule une éclaircie continue de fuir en oblique de derrière le barrage des nuages couleur de poix et jette un irréel coup de pinceau jaune-vert sur la cime d’une colline au sud-ouest de Capharnaüm. Le lac a déjà perdu sa couleur d’azur pour prendre une couleur bleu foncé, et les premiers moutons entre les vagues, courtes, brisées, semblent d’une blancheur irréelle sur le fond sombre de l’eau. Sur le lac, il n’y a plus une barque. Les hommes se hâtent d’échouer leurs bateaux, de ramener les filets, les paniers, les voiles et les rames ou, si ce sont des paysans, de débarquer leurs denrées, d’assurer les pieux et les cordages, de rentrer le bétail dans les étables. Les femmes se dépêchent d’aller à la fontaine avant qu’il ne pleuve, ou bien rassemblent les enfants levés aux premiers rayons du soleil et les font rentrer à la maison, puis ferment les portes, soucieuses comme des mères poules qui sentent arriver la grêle.