5.1
Je vois Anne sortir du jardin potager. Elle s’appuie au bras d’une parente, sûrement, parce qu’elle lui ressemble. Elle est bien grosse et paraît fatiguée, peut-être aussi sous l’effet de la chaleur, toute pareille à celle qui m’accable.
Le jardin a beau être ombragé, l’air est brûlant, torride. Un air à couper au couteau comme une pâte molle et chaude tant il est lourd, sous un ciel impitoyable d’un bleu que la poussière en suspension dans l’air assombrit légèrement. La sécheresse doit s’être installée depuis longtemps car la terre, là où elle n’est pas irriguée, est littéralement réduite en une très fine poussière presque blanche, d’un blanc qui tend un peu vers le rose sale. En revanche, l’arrosage la rend marron-rouge foncé au pied des plantes ou le long des courtes plates-bandes où poussent des rangs de légumes et autour des rosiers, jasmins et autres fleurs et fleurettes, qui se trouvent surtout devant et le long d’une belle tonnelle qui coupe en deux le verger jusqu’à la lisière des champs d’avoine moissonnés. Même l’herbe du pré qui marque l’extrémité de la propriété est sèche et rare. Ce n’est qu’à la limite, là où se trouve une haie d’aubépine sauvage déjà toute parsemée des rubis de ses petits fruits que l’herbe est plus verte et touffue ; il y a là des brebis et leur petit berger, en quête de pâture et d’ombre.
Joachim se tient autour des rangées de légumes et d’oliviers. Deux hommes sont là pour l’aider. Malgré son âge, il est alerte et a plaisir à travailler. Ils sont en train d’ouvrir de petites rigoles au bord d’un champ pour amener de l’eau aux plantes assoiffées ; et l’eau se fraye un chemin en gargouillant entre l’herbe et la terre sèche, elle forme des boucles qui paraissent un moment être d’un jaune cristallin puis ne sont plus que des cercles sombres de terre humide autour des ceps et des oliviers lourds de fruits.
Anne se dirige lentement vers Joachim en passant par la tonnelle ombragée sous laquelle des abeilles d’or bourdonnent, avides du suc des grains de raisin blonds. A sa vue, il se hâte d’aller à sa rencontre.
« Tu es venue jusqu’ici ?
– La maison est chaude comme un four.
– Et tu en souffres…
– C’est l’unique souffrance de mes derniers moments de grossesse. Elle est commune à tous, hommes et bêtes. Ne reste pas trop à la chaleur, Joachim.
– L’eau, qu’on espère depuis si longtemps et qui semblait proche depuis trois jours, n’est pas encore venue et la campagne brûle. Heureusement que nous avons près d’ici une source au débit si abondant. J’ai ouvert les canaux. C’est un faible soulagement pour les plantes, dont les feuilles sont fanées et couvertes de poussière, mais cela servira à les garder en vie. S’il pouvait pleuvoir… »
Joachim scrute le ciel avec l’anxiété de tout cultivateur, tandis qu’Anne, fatiguée, s’évente à l’aide d’un éventail fait d’une feuille sèche de palmier entrelacée de fils multicolores qui lui donnent sa rigidité.
La parente dit :
« Là-bas, des nuages rapides apparaissent au-delà du grand Hermon. Le vent vient du nord, il rafraîchira. Peut-être donnera-t-il de l’eau.
– Cela fait trois jours qu’il se lève, mais qu’il tombe au lever de la lune. Ce sera encore la même chose. »
Joachim est découragé.
« Retournons à la maison, dit Anne. Ici, c’est irrespirable, et je pense qu’il vaut mieux rentrer. »
Une pâleur qui a envahi son visage lui donne un teint encore plus olivâtre.