Elchias prend la parole au nom de tous :
« Tu dois savoir, ô Ponce, qu’aujourd’hui à Béthanie un homme a été ressuscité…
– Je le sais. C’est pour me dire cela que vous êtes venus ? Je le savais depuis plusieurs heures. Il a de la chance de savoir ce que c’est que mourir et ce qu’est l’autre monde ! Mais que puis-je y faire si Lazare, fils de Théophile, est revenu à la vie ? M’aurait-il apporté un message de l’Hadès ? »
Il ironise.
« Non. Mais sa résurrection est un danger…
– Pour lui ? Certainement ! Le danger de devoir mourir de nouveau. Opération peu agréable. Eh bien ! Que puis-je y faire ? Suis-je Jupiter, moi ?
– Un danger, non pour Lazare, mais pour César.
– Pour ?… Par tous les dieux ! Ai-je trop bu ? Vous avez dit : pour César ? Et en quoi Lazare peut-il nuire à César ? Vous craignez peut-être que la puanteur de son tombeau puisse corrompre l’air que respire l’Empereur ? Rassurez-vous ! Il est trop loin !
– Il ne s’agit pas de cela. Mais Lazare, en ressuscitant, peut faire détrôner l’Empereur.
– Détrôner ? Ha ! Ha ! Ha ! Quelle plaisanterie ! Ce n’est pas moi qui suis ivre, mais vous. Peut-être l’épouvante vous a-t-elle fait tourner la tête. Voir ressusciter… je suppose que cela peut troubler. Allez, allez au lit prendre un bon temps de repos. Et un bain chaud, bien chaud, salutaire contre les délires.
– Nous ne délirons pas, Ponce : nous te disons que, si tu n’y mets pas bon ordre, tu connaîtras des moments difficiles. Tu seras certainement puni, si même tu n’es pas tué par l’usurpateur. D’ici peu, le Nazaréen sera proclamé roi, roi du monde, comprends-tu ? Les légionnaires eux-mêmes le feront. Ils sont séduits par le Nazaréen et l’événement d’aujourd’hui les a exaltés. Quel serviteur de Rome es-tu, si tu ne te préoccupes pas de sa paix ? Veux-tu donc voir l’Empire bouleversé et divisé à cause de ton inertie ? Veux-tu voir Rome vaincue, et les enseignes abattues, l’Empereur tué, tout détruit…
– Silence ! C’est moi qui parle, et je vous dis : vous êtes des fous ! Mieux : vous êtes des menteurs, vous êtes des malandrins. Vous mériteriez la mort. Sortez d’ici, hideux serviteurs de vos intérêts, de votre haine, de votre bassesse. Vous êtes esclaves, pas moi. Je suis citoyen romain, et les citoyens romains ne sont assujettis à personne. Je suis le fonctionnaire impérial et je travaille pour les intérêts de la patrie. Vous… vous en êtes les sujets. Vous êtes sous notre domination. Vous êtes les galériens attachés aux bancs, et vous frémissez inutilement. Le fouet du chef est sur vous. Le Nazaréen !… Vous voudriez que je tue le Nazaréen ? Vous voudriez que je l’emprisonne ? Par Jupiter ! Si, pour le salut de Rome et du divin Empereur, je devais emprisonner les sujets dangereux ou les tuer, ici où je gouverne, c’est le Nazaréen et ses partisans, eux seuls, que je devrais laisser libres et vivants. Allez ! Dégagez et ne revenez plus jamais devant moi. Excités ! Fauteurs de troubles ! Rapaces et complices de rapaces ! Aucune de vos manigances ne m’est inconnue, sachez-le. Apprenez aussi que des armes toutes neuves et de nouveaux légionnaires ont servi à découvrir vos pièges et vos espions. Vous criez à cause des impôts romains, mais que vous ont coûté Melchias de Galaad, Jonas de Scythopolis, Philippe de Soco, Jean de Beth-Aven, Joseph de Ramaoth, et tous les autres qui vont bientôt être pris ? Et ne vous approchez pas des grottes de la vallée, car il s’y trouve plus de légionnaires que de pierres, or les lois et la galère sont les mêmes pour tous. Pour tous ! Vous comprenez ? Pour tous. J’espère vivre assez longtemps pour vous voir tous enchaînés, esclaves parmi les esclaves sous le talon de Rome. Sortez ! Allez rapporter ma réponse, même toi, Eléazar, fils d’Hanne, que je ne veux plus voir chez moi : le temps de la clémence est fini, car c’est moi le Proconsul et vous les sujets. Les sujets. C’est moi qui commande, au nom de Rome. Sortez, serpents de nuit ! Vampires ! Et le Nazaréen veut vous racheter ? S’il était Dieu, il devrait vous foudroyer ! Le monde serait nettoyé de sa tache la plus répugnante. Dehors ! Et n’osez pas faire de conjurations, ou vous connaîtrez le fouet et le glaive. »
Il se lève et sort en claquant la porte devant les membres du Sanhédrin, interdits, qui n’ont pas le temps de se remettre, car un détachement en armes les chasse de la pièce et du palais comme des chiens.