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Tersa est tellement environnée d’oliveraies luxuriantes qu’il faut en être bien proche pour remarquer que la ville est là. Une enceinte de jardins potagers d’une merveilleuse fertilité forme pour les maisons un dernier abri contre le vent. Dans les jardins, la chicorée, les salades, les légumes, les jeunes plants de cucurbitacées, les arbres fruitiers, les tonnelles, mêlent et entrelacent leurs verts de nuances variées. Les fleurs apportent la promesse des fruits et les tout jeunes fruits font espérer leurs délices. Les petites fleurs de la vigne et celles des oliviers plus précoces font pleuvoir, au passage d’un petit vent plutôt énergique, une neige blanc-verdâtre qui saupoudre le sol.
Au bruit des pas des arrivants, les huit apôtres envoyés en tête précédemment sortent de derrière un rideau de roseaux et de saules qui ont poussé près d’un canal desséché, mais au fond encore humide. Ils sont visiblement inquiets et affligés, et font signe de s’arrêter. Ils arrivent en courant. Quand ils sont assez proches pour être entendus sans avoir besoin de crier, ils s’exclament :
« Partez ! Partez ! Rebroussez chemin, allez dans la campagne. On ne peut entrer dans la ville. Pour un peu, ils nous lapideraient. Mettons-nous à l’écart dans ce bosquet, et nous allons parler… »
Impatients de s’éloigner sans être vus, ils poussent dans le fond du canal desséché Jésus, les trois apôtres, le petit garçon et les femmes :
« Qu’on ne nous voie pas ici. Partons ! Partons ! »
C’est en vain que Jésus, Jude et les deux fils de Zébédée cherchent à savoir ce qui est arrivé. C’est en vain qu’ils demandent :
« Mais qu’en est-il de Judas et d’Elise ? »
Les huit apôtres ne veulent rien entendre. Marchant dans le fouillis des tiges et des plantes aquatiques, les pieds lacérés par les joncs, le visage frappé par les saules et les roseaux, glissant sur la vase, s’accrochant aux herbes, s’appuyant aux bords, se couvrant de boue, ils s’éloignent ainsi, poussés par derrière par les huit hommes, qui marchent en se retournant sans cesse pour voir si quelqu’un sort de Tersa à leur poursuite. Mais il n’y a, sur la route, que le soleil qui commence à baisser, et un chien errant efflanqué.