The Writings of Maria Valtorta

584. Le sabbat qui précède l’entrée à Jérusalem.

584. The Sabbath before the entering in Jerusalem.

584.1

Après les pluies des jours précédents, le temps s’est rétabli, et le soleil luit dans un ciel très pur. La terre, nettoyée par les pluies, est aussi claire et fraîche que l’atmosphère, au point de sembler créée depuis quelques heures. Tout resplendit et tout chante dans la sérénité du matin.

Jésus se promène lentement le long des sentiers les plus écartés du jardin. Seuls quelques jardiniers observent cette promenade solitaire aux premières heures du jour, mais personne ne trouble le Maître. Au contraire, ils se retirent silencieusement pour le laisser en paix,

Du reste, c’est le sabbat, jour de repos, et les jardiniers ne travaillent pas. Mais par suite d’une accoutumance aussi longue que leur vie, ils sont dehors pour examiner les fleurs, les plantes, les ruches, pour lesquels il n’y a pas de sabbat, et qui parfument, se balancent et bourdonnent au soleil et au petit vent d’avril.

Peu à peu, le jardin s’anime : voici d’abord les serviteurs de la maison et les servantes, puis les apôtres et les femmes disciples, et en dernier lieu Lazare. Jésus les rejoint et les salue.

« Depuis quand es-tu ici, Maître ? demande Lazare en secouant les gouttes de rosée des boucles de cheveux de Jésus.

– Depuis l’aurore. Tes oiseaux m’ont appelé pour louer Dieu, et je suis sorti. Contempler Dieu dans les beautés de la Création, c’est l’honorer et prier avec l’émotion de l’esprit. La terre est belle. Et, à ces premières heures du jour, d’un jour comme celui-ci, elle nous apparaît fraîche comme aux premières heures de sa vie.

– C’est vraiment un temps de Pâque. Le beau temps durera, car il s’est installé au début de la lune avec un vent favorable, assure Pierre.

– Cela me réjouit. La Pâque sous l’eau, c’est bien triste !

– Davantage encore : elle est nuisible aux moissons. Le grain demande plus de soleil au fur et à mesure qu’il s’approche de la récolte, déclare Barthélemy.

– Je suis heureux d’être ici en paix.

584.2

C’est aujourd’hui jour de sabbat, et il ne viendra personne, pas d’étranger parmi nous, se réjouit André.

– Tu te trompes : il y a un hôte, un petit hôte. Il dort encore, Maître. Avoir un lit mœlleux et l’estomac repu permet un bon sommeil. Je suis passé le voir. Noémi veille sur lui, dit Lazare.

– De qui s’agit-il ? Quand est-il venu ? Qui l’a amené ? Pourquoi en parles-tu comme si c’était un enfant ? demandent hommes et femmes.

– C’est un enfant, un pauvre enfant. C’est sa souffrance qui l’a conduit ici. Il était là, appuyé contre les barreaux de la grille, regardant vers la maison. Et le Maître l’a accueilli.

– Nous ne savions rien… Pourquoi ?

– Parce que ce petit garçon avait besoin de paix » répond Jésus, et son visage s’absorbe en une pensée profonde avant d’achever : « Et, dans la maison de Lazare, on sait se taire. »

Un serviteur vient dire quelques mots à Marthe, puis il se retire pour revenir avec les autres, qui apportent des plateaux garnis de bols et d’amphores de lait, et du pain avec du beurre et du miel. Tous se servent en s’asseyant çà et là sur les sièges épars.

584.3

Mais peu après, ils décident de se grouper de nouveau autour du Maître et de lui demander une parabole, “ une belle parabole ”, précisent-ils, “ sereine comme ce jour de Nisan. ”

« Je ne vais pas vous en raconter une, mais deux : écoutez donc.

Un homme voulut un jour allumer deux lampes pour honorer le Seigneur à l’occasion d’une fête. Il prit donc deux vases d’égale largeur, y versa la même quantité et la même qualité d’huile, et une mèche identique. Il les alluma à la même heure afin qu’elles prient à sa place pendant que lui travaillerait, selon ce qui lui était permis.

A son retour, après un certain temps, il vit que de l’une des lampes s’élançait une vive flamme, alors que sur l’autre brillait une petite lueur bien tranquille, qui mettait tout juste un peu de lumière dans le coin où brûlaient les lampes. L’homme pensa que sa mèche était mal faite. Il l’observa : non, tout allait bien. Mais cette lampe ne voulait pas brûler aussi joyeusement que l’autre. Cette dernière faisait jaillir sa flamme comme une langue de feu et paraissait vraiment s’exprimer, tant elle était joyeuse et tant, dans la vivacité de son mouvement, elle laissait entendre un léger frou-frou.

“ Cette lampe chante vraiment les louanges du Très-Haut ! ” pensa-t-il. “ Alors que celle-là ! Regarde-la, mon âme ! On dirait qu’il lui pèse d’honorer le Seigneur, tant elle le fait avec peu d’ardeur ! ”

Il repartit travailler, et revint après un moment : la première flamme s’élevait encore plus haut et vibrait avec toujours plus de splendeur, alors que l’autre avait encore baissé et brûlait de plus en plus tranquillement. Il pouvait le vérifier à chacun de ses retours. Mais quand il rentra beaucoup plus tard, il trouva la pièce remplie d’une épaisse fumée nauséabonde, au travers de laquelle une seule petite flamme brillait. Il s’approcha de l’étagère où étaient placées les lampes, et il vit que celle qui flamboyait auparavant avec tant d’ardeur, s’était totalement consumée et noircie ; elle avait même souillé de sa langue la blancheur du mur. L’autre, au contraire, continuait à honorer le Seigneur de sa lumière toujours égale.

Il était sur le point de réparer l’incident lorsqu’une voix se fit entendre près de lui :

“ Ne change pas l’état des choses, mais médite sur elles, car c’est un symbole. Je suis le Seigneur. ”

L’homme se jeta face contre terre pour adorer et, avec une grande crainte, il osa reconnaître :

“ Je suis sot. Explique-moi, ô Sagesse, le symbole des lampes, dont celle qui paraissait t’honorer le plus activement a causé des dégâts, alors que l’autre continue à briller. ”

“ Bien, je vais le faire : il en est du cœur de l’homme comme de ces deux lampes. Certaines ont, pour honorer le Seigneur, un doux éclat qui n’attire pas l’attention et peut passer pour de la tiédeur. D’autres commencent par brûler si vivement qu’elles font l’admiration des hommes, tant leur ardeur semble parfaite et constante. Mais passées les premières flambées, elles commencent à faire des dégâts, puis s’éteignent non sans dommages ; c’est que leur lumière n’était pas sûre. Ces lampes ont voulu briller davantage pour les hommes que pour le Seigneur, et l’orgueil les a consumées en peu de temps en une fumée noire et lourde, qui a même obscurci l’air. Les autres ont eu une volonté unique et constante : honorer Dieu seul et, sans se soucier des louanges de l’homme, elles ont brûlé en gardant une flamme durable et pure, sans fumée ni mauvaise odeur. Sache en imiter la lumière constante, car elle seule est agréable au Seigneur. ”

L’homme releva la tête… L’air s’était libéré de la fumée, et la fidèle étoile de lumière était maintenant seule à briller, douce et droite, en l’honneur de Dieu, en faisant luire le métal de la lampe comme si c’était de l’or pur. Pendant des heures, il la regarda resplendir, toujours égale, jusqu’au moment où, doucement, sans fumée ni mauvaise odeur, sans salir son vêtement, la flamme s’éteignit sur un dernier éclat : elle parut s’élever au ciel pour se fixer parmi les étoiles, après avoir dignement honoré le Seigneur jusqu’à sa dernière goutte d’huile et jusqu’à son dernier instant de vie.

En vérité, en vérité, je vous dis que nombreux sont ceux qui au début produisent une grande flamme et s’attirent l’admiration du monde — qui ne voit que l’extérieur des actions humaines —, mais qui périssent ensuite en se carbonisant et en répandant leurs âcres fumées. Et en vérité, je vous dis que Dieu ne fait guère attention à leur flamme, car il voit qu’elle brûle orgueilleusement, pour une fin humaine.

Bienheureux ceux qui savent imiter la seconde lampe et ne pas se carboniser, mais monter au Ciel par la dernière palpitation de leur constant amour.

584.4

– Quelle étrange parabole! Mais comme elle est vraie ! Et belle ! Elle me plaît ! Je voudrais savoir si nous sommes les lumières qui montent vers le Ciel. »

Les apôtres échangent leurs impressions.

Judas trouve moyen de mordre. Il s’attaque à Marie de Magdala et à Jean :

« Attention à vous, Marie et Jean. Vous êtes parmi nous les lumières flamboyantes… Qu’il ne vous arrive pas malheur ! »

Sur le point de répliquer, Marie de Magdala se mord les lèvres pour contenir son indignation. Elle se borne à regarder Judas, mais ce regard est si ardent que Judas cesse de rire et de la toiser.

Jean, au cœur doux bien que brûlant de charité, répond posément :

« A cause de mon manque de capacité, cela pourrait bien arriver. Mais je me fie à l’aide du Seigneur, et j’espère pouvoir me consumer jusqu’à la dernière goutte et jusqu’au dernier instant pour honorer le Seigneur notre Dieu.

584.5

– Et l’autre parabole ? Tu en as promis deux, intervient Jacques, fils d’Alphée.

– Elle ne va pas tarder… »

Et il montre la porte de la maison, fermée par le rideau que le vent remue lentement. Ce rideau s’écarte tout à coup, sous la main d’un serviteur, pour céder le passage à la vieille Noémi qui se précipite aux pieds de Jésus en s’écriant :

« L’enfant est redevenu normal ! Il n’est plus difforme ! Tu l’as guéri pendant la nuit. Il s’était réveillé, et je préparais le bain pour le laver avant de lui passer sa tunique et l’habit que j’avais cousu pendant la nuit en utilisant un vêtement que Lazare ne porte plus. Mais quand je lui ai dit : “ Viens, mon enfant ” et que j’ai soulevé les couvertures, j’ai vu que son petit corps, si déformé hier, n’était plus le même. Et j’ai crié. Sarah et Marcelle, qui ne savaient même pas qu’un enfant dormait dans mon lit, sont arrivées, et je les ai quittées pour courir te le dire… »

Tous cèdent à la curiosité, questionnent, expriment leur impatience de se rendre compte par eux-mêmes de la réalité du miracle…

Jésus apaise le brouhaha d’un geste. Il ordonne à Noémi :

« Retourne auprès de l’enfant. Lave-le, passe-lui son vêtement et amène-le-moi ici. »

Puis il se tourne vers ses disciples :

« Voici la seconde parabole, qu’on peut intituler : “ La vraie justice n’agit ni par vengeance ni avec partialité. ”

Un homme, ou plutôt l’Homme, le Fils de l’homme, a des ennemis et des amis. Peu d’amis, beaucoup d’ennemis, et des ennemis dont il n’ignore pas la haine ni les pensées, et dont il connaît la volonté, qui ne reculera devant aucun acte, si horrible qu’il soit. En cela, ils sont plus forts que ses amis, dont la peur, la déception, ou encore une confiance excessive, font des béliers qui dissipent inutilement leurs forces. Ce Fils de l’homme, aux ennemis nombreux, et à qui on reproche tant de fautes qui ne sont pas vraies, a rencontré hier un pauvre enfant, le plus désolé des enfants, le fils d’un homme qui est son ennemi. Cet enfant était difforme et estropié, et il sollicitait une grâce étrange : celle de mourir. Tous demandent des honneurs et des joies au Fils de l’homme, la santé, ou encore la vie. Ce pauvre enfant demandait à mourir pour ne plus souffrir. Il a déjà connu toutes les souffrances de la chair et du cœur, car celui qui l’a engendré et qui me hait sans raison, hait aussi l’innocent malheureux qu’il a engendré. Je l’ai guéri afin qu’il ne souffre plus, et pour que, au-delà de la santé physique, il puisse parvenir à la santé spirituelle. Sa petite âme aussi est malade. La haine de son père et le mépris des hommes l’ont blessée et privée d’amour. Il lui est seulement resté la foi dans le Ciel et dans le Fils de l’homme a qui, ou plutôt auxquels, il demande de mourir. Le voilà : vous allez l’entendre. »

584.6

L’enfant, peigné et lavé dans son petit vêtement de laine blanche que Noémi lui a cousu rapidement pendant la nuit, s’avance, tenu par la main de la vieille nourrice. Il est de petite taille, même si, n’étant plus courbé ni boîteux, il semble déjà plus grand qu’hier. Il a le visage irrégulier et un peu fané d’un enfant que la souffrance a rendu précocement adulte. Mais il n’est plus difforme. Ses petits pieds nus foulent le sol avec l’assurance d’un pas qui n’a plus trace de claudication ; ses épaules sont bien droites en dépit de leur maigreur; le cou effilé les dépasse et semble long quand on le compare à hier, quand il s’enfonçait dans les clavicules asymétriques.

« Mais… mais c’est le fils d’Hanne, lui-même fils de Nahum ! C’est un miracle gaspillé ! Tu crois que cela te suffira pour obtenir l’amitié de son père et de Nahum ? Tu les rendras plus haineux ! Ils souhaitaient seulement la mort de cet enfant, fruit d’un mariage malheureux, s’écrie Judas.

– Je n’opère pas des miracles pour me gagner des amis, mais par pitié pour les créatures et pour rendre gloire à mon Père. Je ne fais pas de distinction ni de calcul, jamais, quand je me penche avec pitié sur une misère humaine. Je ne me venge pas de celui qui me persécute…

– Nahum y verra un acte de vengeance.

– Je ne savais rien de cet enfant. J’ignore encore son nom.

– On l’appelle par mépris[1] Mathusala ou Mathusalem.

– Maman m’appelait Chalem. Elle m’aimait, maman. Elle n’était pas méchante comme toi et comme ceux qui me haïssent, lance l’enfant avec un éclair dans les yeux, l’éclair de colère impuissante des hommes et des animaux trop longtemps torturés.

584.7

– Viens ici, Chalem, avec moi. Es-tu content d’être guéri ?

– Oui… mais j’aurais préféré mourir. D’une façon ou d’une autre, je ne serai pas aimé. Si maman vivait encore, ce serait beau. Mais maintenant… je serai toujours malheureux.

– Il a raison. Hier, nous avons rencontré cet enfant. Il nous a demandé si tu étais à Béthanie, chez Lazare. Nous voulions lui donner une obole, car nous pensions que c’était un mendiant, mais il n’en a pas voulu. Il était au bord d’un champ, dit Simon le Zélote.

– Toi non plus, tu ne le connaissais pas ? C’est étrange ! s’exclame Judas.

– Il est bien plus étrange que, toi, tu sois au courant de tout cela. Oublies-tu que j’ai été parmi les persécutés et ensuite parmi les lépreux, jusqu’au moment où je suis venu avec le Maître ?

– Et toi, oublies-tu que je suis l’ami de Nahum, l’homme de confiance d’Hanne ? Je ne vous l’ai jamais caché.

– Bien ! Bien ! Cela n’a guère d’importance. Ce qui compte, c’est ce que nous allons faire de cet enfant. Son père ne l’aime pas, c’est vrai. Mais il a toujours des droits sur lui. Nous ne pouvons pas lui enlever ainsi son fils sans le prévenir. Il faut être prudents et ne pas les heurter, puisqu’ils semblent mieux disposés envers nous » expose Nathanaël.

Judas a un grand rire sarcastique, sans en donner la raison.

584.8

Jésus, qui a placé l’enfant entre ses genoux, dit lentement :

« J’affronterai Nahum… Je n’en serai pas détesté davantage. Sa haine ne peut grandir. C’est impossible : elle est déjà à son comble. »

Annalia était jusqu’ici plongée dans une réflexion qui la réjouissait, de sorte qu’elle n’a rien dit. Mais elle intervient maintenant :

« Si j’étais restée, il m’aurait plu de le prendre avec moi. Je suis jeune, mais j’ai un cœur de mère…

– Tu t’en vas ? Quand ? demandent les femmes.

– Bientôt.

– Pour toujours ? Et où vas-tu ? Hors de la Judée ?

– Oui : loin, très loin, pour toujours. Et j’en suis extrêmement heureuse.

– Ce que tu ne peux faire, d’autres le pourront, si le père du petit garçon le cède.

– J’en parlerai à Nahum, si vous y tenez. C’est lui qui compte, plus que le vrai père. J’en parlerai demain, promet Judas.

– Si ce n’était pas le sabbat… je serais allé trouver ce Josias qui en avait la garde, dit André.

– Pour voir s’ils sont tristes de l’avoir perdu ? demande Matthieu.

– Je crois que si l’une de leurs abeilles s’égarait, ils en seraient plus affectés » bougonne entre ses dents Maximin, qui s’est approché depuis un moment.

584.9

L’enfant garle le silence. Il reste serré contre Jésus, étudiant les visages qui l’entourent, avec cette acuité de regard qu’ont souvent les enfants maladifs qui ont connu la souffrance. Il semble scruter les âmes plutôt que les visages et, quand Pierre l’interroge : “ Que penses-tu de nous ? ”, le garçonnet répond en glissant sa main dans celle de Pierre : “ Tu es bon ”, puis il corrige : “ Tous bons. Mais… je voudrais ne pas avoir été reconnu. J’ai peur… »

Et il regarde Judas.

« … de moi, n’est-ce pas ? Tu redoutes que je parle à ton père ? Il me faudra assurément le faire, si je dois lui demander de te laisser à nous. Mais il ne te reprendra pas !

– Je le sais. Mais il y a une autre chose… Je voudrais être loin, loin, là où va cette femme… Dans le pays de ma mère, il y a une mer bleue, au milieu de montagnes vertes. On l’aperçoit tout en bas, avec plein de voiles blanches qui volent sur elle, et de belles villes autour. Et sur les monts, il y a des grottes, où les abeilles sauvages font leur miel, sucré, si sucré. Je n’ai plus mangé de miel depuis que maman est morte et que j’ai été donné à Josias. Philippe, Joseph, Elise et les autres enfants, eux s’en régalent, mais moi, non. S’ils avaient rangé le pot de miel en bas, je l’aurais pris, tant j’en avais envie. Mais ils le mettaient sur de hautes étagères et je ne pouvais monter sur les tables comme le faisait Philippe. Moi, j’ai tant envie de miel !

– Oh ! mon pauvre enfant ! Je vais t’en chercher autant que tu veux ! » lance Marthe avec émotion.

Et elle s’éloigne rapidement.

584.10

« Mais d’où était sa mère ? demande Pierre.

– Elle avait des maisons et des propriétés près de Séphet. Fille unique, orpheline et héritière, déjà vieille, laide et légèrement boîteuse, elle était très riche. Par l’intermédiaire du vieux Sadoq, le fils du bien-aimé d’Hanne l’obtint en mariage… Ce contrat fut un véritable marché indigne, qui devait tout au calcul et rien à l’amour. Il vendit les biens de sa femme qu’il disait être trop éloignés d’ici, hormis une maisonnette qui appartenait auparavant à l’intendant, et que ce dernier avait reçue en cadeau de son ancien maître pour toute sa vie et celle de ses héritiers jusqu’à la quatrième génération. Il perdit tout en spéculations malheureuses. Néanmoins… pour ma part, je n’y crois pas. Je sais en effet qu’il possède, du côté de la rive, de belles terres… qu’il n’avait pas avant… Puis, après quelques années de mariage, alors que l’état de santé de son épouse déclinait déjà fortement, ce fils naquit… et ce fut un bon prétexte pour renvoyer la femme et en prendre une autre de la plaine de Saron, jeune, belle et riche… La divorcée se réfugia chez le vieil intendant et y mourut. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas gardé cet enfant. Son père le considérait comme mort, explique Judas.

– Parce que Jean était mort et aussi Marie, et les enfants furent envoyés comme serviteurs autre part. Et qui devait me garder, puisque je n’étais pas fils et ne pouvais travailler ? Pourtant Michel et Isaac, et aussi Esther et Judith étaient bons, et ils le sont toujours. Quand ils viennent pour les fêtes, ils m’apportent des cadeaux, mais Josias me les prend pour ses propres fils.

– Cependant, ils ne veulent pas de toi ! lui rétorque Judas.

– Maintenant que je suis droit et fort, ils accepteront. Ce sont des serviteurs, eux ! Ils ne pouvaient pas, comme je l’ai dit, suggérer à leur propre maître : “ Prends cet estropié malade. ” Maintenant, ils le peuvent.

584.11

– Mais comme tu t’es enfui de chez Josias, comment leur serait-il possible de te retrouver ? » lui demande Barthélemy pour le faire réfléchir.

L’enfant est frappé par la justesse de l’observation, et il réfléchit — car son infirmité l’a fait mûrir tôt, comme elle a rendu précocement adulte son visage —, et c’est sur un ton désespéré qu’il s’exclame :

« C’est vrai ! Je n’y avais pas pensé.

– Retourne là-bas. Ils vont venir ces jours-ci…

– Là-bas ? Non. Je n’y retourne pas. Je le refuse absolument. Plutôt me tuer ! »

Il entre dans une furie sauvage qui le bouleverse, puis il se jette, en larmes, sur les genoux de Jésus, en s’écriant :

« Pourquoi ne m’as-tu pas fait mourir ? »

Marthe, qui revient avec un vase de miel, reste interdite devant cette désolation. Barthélemy, lui, est peiné de l’avoir provoquée et il s’en excuse :

« Je croyais donner un bon conseil, bon pour tous : pour l’enfant, pour toi, Maître, pour Lazare… Aucun de vous ni de nous n’a besoin d’une nouvelle haine…

– C’est vrai ! C’est un véritable ennui ! » s’écrie Pierre

Et, méditant sur la situation, il en tire pour lui-même des conclusions qui aboutissent à son léger sifflement habituel qui lui sert à exprimer son état d’âme en face de problèmes ardus, si difficiles à résoudre.

Les uns et les autres font diverses propositions, comme aller trouver Nahum, se rendre chez Josias et lui demander d’envoyer Michel et Isaac chez Lazare, ou dans un autre endroit où sera l’enfant, car il est prudent de ne pas faire haïr Lazare, plus qu’il ne l’est déjà à cause de son amitié avec Jésus. Ou encore ne rien dire à personne, et faire disparaître l’enfant en le confiant à quelque disciple sûr.

Judas ne parle pas. Il semble même étranger au débat. Il joue avec les houppes de son vêtement qu’il peigne et dépeigne du bout des doigts.

Jésus aussi se tait. Il caresse et calme l’enfant, et il lui relève la tête, en lui mettant dans les mains le petit pot de miel.

584.12

Chalem est un enfant, un pauvre enfant de dix ans qui a toujours souffert, mais il reste un enfant, même si la douleur lui a donné une certaine maturité, et devant un pareil trésor de miel, les dernières larmes font place à une stupeur extatique. Levant les yeux — des yeux noisette, grands, intelligents, qui constituent son unique beauté — et fixant alternativement Jésus et Marthe, il demande :

« Combien puis-je en prendre ? Une cuillère ou deux ? »

Et il montre la cuillère ronde en argent qu’il plonge lentement dans le miel blond.

« Autant que tu veux, mon enfant. Le reste, tu le prendras demain, ou plus tard. Tout est pour toi ! dit Marthe en le caressant.

– Tout est pour moi !!! Oh ! je n’ai jamais eu autant de miel !! Tout est pour moi ! Oh ! »

Et il serre respectueusement le vase contre sa poitrine comme si c’était un trésor.

Mais ensuite, il sent que, ce qui est plus précieux que le miel, c’est l’amour qui le lui offre, alors il pose le petit pot sur les genoux de Jésus, puis lève les bras pour enlacer le cou de Marthe penchée sur lui et l’embrasser. C’est tout ce que peut faire sa reconnaissance, tout ce qu’il peut donner, lui, l’enfant abandonné qui n’a rien à lui.

584.13

Les autres cessent d’imaginer des projets pour observer la scène, et Pierre constate :

« Il est encore plus malheureux que Marziam, qui avait au moins l’amour de son grand-père et des autres paysans ! C’est bien vrai qu’il y a toujours des souffrances plus grandes que celles que nous avons déjà jugées immenses !

– Oui, l’abîme de la douleur humaine n’a pas encore découvert son fond. Qui sait combien de secrets il recèle encore… et qu’il cachera pour les siècles futurs ! dit Barthélemy, d’un air songeur.

– Tu n’as pas foi dans la Bonne Nouvelle, alors ? Tu ne crois pas qu’elle changera le monde ? Les prophètes l’annoncent, et le Maître le répète. Tu es un incrédule, Barthélemy ! » lance Judas avec une légère ironie.

Simon le Zélote lui rétorque :

« Je ne vois pas en quoi Barthélemy serait incrédule. La doctrine du Maître procurera du réconfort à tous les malheurs, elle modifiera aussi la férocité des us et coutumes, mais elle n’éliminera pas la souffrance. Les divines promesses des joies futures la rendront plus supportable. Il faudrait que tous aient le cœur que possède le Christ pour que la douleur soit abolie, ou du moins une grande partie de la douleur — car les maladies, les morts et les cataclysmes naturels demeureront —, mais… »

Judas l’interrompt :

« C’est en effet ce qui devrait se produire, sinon à quoi aurait servi la venue du Messie sur la terre ?

– C’est ce qui devrait se produire, disons-nous. Mais, dis-moi, Judas : est-ce que c’est le cas parmi nous ? Nous sommes douze, et depuis trois ans nous vivons avec lui, nous absorbons sa doctrine comme l’air que nous respirons. Eh bien ? Sommes-nous tous saints ? Que faisons-nous de différent de ce que fait Lazare, de ce que font Etienne, Nicolaï, Isaac, Manahen, et même Joseph et Nicodème, ou encore les femmes, et les enfants ? Je parle des justes de notre patrie. Tous ceux-ci, sages et riches, ou pauvres et ignorants, agissent comme nous : parfois bien, parfois mal, mais sans se renouveler complètement. Je t’affirme même que beaucoup nous sont supérieurs. Oui, beaucoup de ceux qui le suivent nous sont supérieurs, à nous, les apôtres… Et tu prétendrais que le monde entier prenne le cœur que possède le Christ, alors que nous, nous les apôtres, ne l’avons pas pris ? Nous sommes devenus plus ou moins meilleurs… Espérons du moins qu’il en est ainsi, car l’homme a du mal à se connaître et à connaître le frère qui vit à ses côtés. Le voile de la chair est trop opaque et épais, et la pensée de l’homme est trop attentive à ne pas se laisser pénétrer, pour que l’homme comprenne l’homme. Que ce soit en s’examinant soi-même ou en observant les autres, on reste toujours à la surface. La cause en est, dans le premier cas, que nous ne voulons pas nous connaître, pour ne pas souffrir dans notre orgueil ni devoir constater la nécessité de changer. Et dans le second cas, vis-à-vis d’autrui, notre orgueil d’examinateur fait de nous des juges injustes, et l’orgueil de celui que l’on examine le fait se fermer, comme une huître, sur ce qu’il est profondément, expose Simon le Zélote.

– Bien parlé ! Simon, tu as vraiment prononcé des paroles de sagesse ! » approuve Jude.

Les autres font chorus.

584.14

« Alors, pourquoi est-il venu, s’il ne doit rien changer ? » réplique Judas.

Jésus prend la parole :

« Beaucoup de choses changeront, mais pas tout. A l’avenir, ma doctrine aura toujours à se confronter à ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, la haine de ceux qui n’aiment pas la Lumière. A la force de mes disciples s’opposera celle des disciples de Satan. Or ces derniers sont nombreux, et leur action revêt des aspects très divers. A ma doctrine immuable, parce que parfaite, combien de doctrines hérétiques, toujours nouvelles, seront opposées ! Que d’afflictions elles provoqueront ! Vous ne connaissez pas l’avenir. Vous avez l’impression que la souffrance que connaît le monde actuel est grande… Mais Celui qui sait voit des horreurs que vous ne seriez pas à même de comprendre si je vous les expliquais… Malheur, si je n’étais pas venu ! Venu pour donner aux hommes à venir un code qui réfrène les instincts chez les meilleurs, et une promesse de paix future ! Malheur, si l’homme n’avait pas, grâce à ma venue, des éléments spirituels capables de garder son âme en vie, avec la certitude d’obtenir une récompense !… Si je n’étais pas venu, avec la succession des siècles, la terre serait devenue un vaste enfer terrestre, l’espèce humaine se serait déchirée, et aurait péri en maudissant le Créateur…

– Le Très-Haut a promis[2] de ne plus envoyer de châtiments universels comme le Déluge. La promesse de Dieu ne peut pas être prise en défaut ! dit Judas.

– Oui, Judas, c’est vrai. Et le Très-Haut n’enverra plus de fléaux universels comme le Déluge, mais les hommes se créeront eux-mêmes des fléaux de plus en plus atroces, par rapport auxquels le Déluge et la pluie de feu qui détruisit[3] Sodome et Gomorrhe paraîtraient des châtiments dérisoires. Ah !… »

Jésus se lève en esquissant un geste de pitié angoissée pour les générations à venir.

584.15

« D’accord ! Tu sais… mais, en attendant, qu’allons-nous faire pour lui ? demande Judas en montrant l’enfant, qui déguste son miel à petites doses et semble tout à fait heureux.

– A chaque jour suffit sa peine. Demain le dira. Il est vain de se préoccuper du lendemain, alors que l’on ne sait même pas si on sera encore en vie.

– Je ne suis pas du même avis. Je soutiens qu’il nous faudrait savoir où nous allons loger, où nous consommerons la Cène. Il y a beaucoup de problèmes à résoudre. Pendant que nous attendons, la ville se remplit. Et où irons-nous ? Pas à Gethsémani, pas chez Joseph de Sephoris, ni chez Jeanne. Chez Nikê ? Pas non plus ; ni chez Lazare. Où, alors ?

– Là où le Père préparera un refuge pour son Verbe.

– Tu crois que je veux savoir cela pour le rapporter à d’autres ?

– C’est toi qui en parles. Moi, je n’ai rien dit. Viens, Chalem. Ma Mère sait que tu es là, mais elle ne t’a pas encore vu. Viens, que je te conduise à elle.

– Mais elle est malade, ta Mère ? demande Thomas.

– Non. Elle prie. Elle a un grand besoin de prier.

– Oui, elle souffre beaucoup, elle pleure beaucoup, et elle n’a que la prière pour la consoler. Je l’ai toujours vue prier longuement. Dans les moments de plus grande douleur, elle vit de prière, pourrais-je dire… » explique Marie, femme d’Alphée, pendant que Jésus s’éloigne en tenant l’enfant par la main. Il est accompagné par Annalia, qu’il a invitée à aller avec lui voir Marie.

584.1

The weather has cleared up after the past wet days and a bright sun is shining in a very clear sky. The earth, cleaned by the rains, is as clear as the atmosphere. It is so fresh and clean that it seems to have been created only a few hours ago. Everything is bright and everything sings in the clear morning.

Jesus is walking slowly along the farthest paths in the garden. Only an odd gardener watches the solitary walk in the early morning hours. But no one disturbs the Master.

On the contrary they withdraw silently to leave Him alone. Moreover it is the Sabbath, the day of rest, and the gardeners are not at work. But through a habit as long as their lives, they are out watching plants, beehives, flowers, for which there is no Sabbath, and which smell, rustle and buzz in the sunshine and in the April breeze.

Then the garden slowly becomes busy. The first to appear are the servants employed in the house, then the maidservants, then the apostles and the women disciples, and Lazarus is the last one. Jesus joins them greeting them with His usual greeting.

«How long have You been here, Master?» asks Lazarus, shaking some dew-drops off Jesus’ hair.

«Since dawn. Your birds called Me to praise God. And I came out here. To contemplate God in the beauty of Creation is to honour Him and to pray with a moved spirit. And the Earth is beautiful. And in these early hours of the day, on a day like this one, it appears to us as fresh as it was in the first days of its existence.»

«Real Passover weather. And it has improved. It will last because it cleared up during the first phase of the moon with a favourable wind» states Peter.

«I am glad to hear that. Passover with rain is sad.»

«Even worse, it is detrimental to crops. The corn needs sunshine, now that harvest time is approaching» says Bartholomew.

«I am happy to be here at peace.

584.2

This is the Sabbath and nobody will come. There will be no strangers among us» says Andrew.

«You are wrong. There is a guest, a young guest. He is still sleeping, Master. A soft bed and a full stomach are letting him have a long sleep. I went in to see him. Naomi is watching over him» says Lazarus.

«But who is he? When did he come? Who brought him? Because you are speaking as if it were a boy» ask both men and women.

«It is a boy. A poor boy. His grief brought him here. He was over there, clinging to the bars of the gate and looking at the house. And the Master brought him in.»

«We knew nothing about it… Why?»

«Because the child was in need of peace» replies Jesus, and His countenance is absorbed in deep thought as He concludes: «And in Lazarus’ house they know how to be silent.»

A servant comes to tell Martha something and then withdraws, but comes back soon with other servants carrying trays with jugs of milk, cups, and bread with butter and honey. They all help themselves sitting on the seats scattered here and there.

584.3

Then they wish to gather once again around the Master and they ask Him to tell them a parable, «a beautiful parable» they say «as serene as this day of Nisan.»

«I will not tell you one, but two. Listen.

A man one day decided to light two lamps to honour the Lord on a feast day. So he took two vases of the same size, he put in each the same quantity and quality of oil, identical wicks, and he lit them at the same hour, so that they might pray while he worked, as he was allowed. After some time he went back and he saw that one lamp was burning brightly, whereas the other had only a very tiny flame, that hardly gave any light in the corner where the two lamps were burning. The man thought that the wick was perhaps faulty. He examined it. No, it was all right. But it would not burn so merrily as the other lamp, the flame of which fluttered like a tongue and seemed to whisper words, so merry it was, and it blazed so excitedly that it even had a light murmur. “This lamp is really singing the praises of the Most High Lord!” he said to himself. “Whereas this one! Look at it, soul of mine! It seems to find it burdensome to have to honour the Lord, as it does it with so little zeal!” and he went back to his work.

He went back again after some time. One flame had grown even taller, and the other had become even smaller and was burning even more quietly and still, the more the other vibrated shining. He went back a second time. The same situation. A third time, the same thing. But when he came the fourth time, he saw the room full of black foul-smelling smoke, and only one little flame shining through the veils of thick smoke. He went to the shelf where the lamps were, and he noticed that the one that was blazing so brightly previously was completely burnt out and black, and it had also soiled the white wall with its flame. The other one, instead, continued to honour the Lord with its constant light. He was about to remedy the defect when a voice sounded close to him: “Leave things as they are. But meditate on them, for they are a symbol. I am the Lord.” The man prostrated himself on the floor adoring and with great fear he dared to say: “I am foolish. Explain to me, o Wisdom, the symbol of the lamps, of which the one that seemed more active in honouring You has caused damage, whilst the other is persevering in giving light.” “Yes, I will. The hearts of men are like those two lamps. There are those who at the beginning blaze, are bright and are admired by men, because their flames seem so perfect and constant. And there are those whose light is mild, does not attract anybody’s attention and they seem to be tepid in honouring the Lord. But after the first or the second blaze, or the third one, between the third and the fourth one they cause damage and then they go out, still with injury, because their light was not reliable. They wanted to shine more for the sake of men than for the Lord’s, and their pride consumed them in a very short time, amid a dark thick smoke that also obscured the air. The others had only one constant will: to honour God only; and without minding whether men praised them, they consumed themselves through a long clear flame, devoid of smoke and stench. Do imitate the constant light, for it is the only one pleasing to the Lord.” The man raised his head… The air had been purified of the smoke and the star of the faithful lamp was now shining all alone, pure, steady, to honour God, making the metal of the lamp gleam as if it were pure gold. And he watched it shine, always steady, for hours and hours, until gently, without smoke or stench, without soiling itself, the flame went out in a flash and it seemed to ascend towards the sky to settle among the stars, having worthily honoured the Lord to the very last moment of its life.

I solemnly tell you that many are those who blaze at the beginning and attract the admiration of the world that can only see the surface of human actions, and then they perish being carbonised and staining with their pungent smoke. And I solemnly tell you that their blazing is not watched by God, because He sees it burn proudly for human purposes. Blessed are those who know how to imitate the second lamp and not to get carbonised, but to ascend to Heaven with the last throb of their constant love.»

584.4

«What a strange parable! But true! Lovely! I like it! I should like to know whether we are the lamps that rise to Heaven.» The apostles exchange their feelings.

Judas finds the opportunity to bite. And his biting words are addressed to Mary of Magdala and John of Zebedee: «Be careful, Mary, and you, John. You are the blazing lamps among us… Let no evil befall you!»

Mary of Magdala is about to reply to him but she bites her lips not to utter the words that had come up from her heart. She looks at Judas. She only looks at him. But her glare is such that Judas stops laughing and staring at her.

John, whose heart is meek but burning with love, kindly replies: «And that might happen, considering how incapable I am. But I confide in the help of the Lord, and I hope I shall be able to burn till the last drop and till the last moment to honour the Lord our God.»

584.5

«And the other parable? You promised two» says James of Alphaeus.

«Here is My second parable. It is about to come…» and He points at the door of the house, where the curtain covering it is swaying slowly in the breeze, and then is drawn by the hand of a servant to let old Naomi enter. She rushes to Jesus’ feet saying: «But the boy is cured! He is no longer deformed! You cured him during the night. He had woken up and I was preparing the bath to wash him before putting on him the tunic and the garment I had sewn during the night using a tunic cast off by Lazarus. But when I said to him: “Come, child” and I removed the blankets, I saw that his little body, so misshapen yesterday, was no longer so. And I shouted. Sarah and Marcella rushed in, but they did not even know that the boy was sleeping in my bed and I left them there, and I ran here to tell You…»

Everybody’s curiosity is aroused. Questions, anxiety to see. Jesus calms the whispering with a gesture. He says to Naomi: «Go back to the boy. Wash him, dress him and bring him here to Me.» He then addresses His disciples: «Here is the second parable, and it could be entitled: “True justice takes no vengeance and makes no distinction”. A man, nay, the Man, the Son of man, has friends and enemies. Few friends, many enemies. And He is aware of the hatred of His enemies, and knows their thoughts and wills, that will not hesitate in front of any action, no matter how horrible it may be. And in that respect they are stronger than his friends, in whom dismay or disappointment, or excess of confidence, act as battering-rams that shatter their fortress to pieces. This Son of man with many enemies and Who is reproached for many things that are not true, yesterday met a poor boy, the most desolate of all children, the son of one of His enemies. And the boy was deformed and crippled and asked for a strange grace: to die. Everybody asks honours and joy, health and life, of the Son of man. This poor boy asked to die in order not to suffer any longer.

He has already experienced all the sorrows of the flesh and of the heart, because the man who procreated him, and who hates Me without any reason, also hates the unhappy innocent wretch whom he generated. And I cured him so that he may no longer suffer, and in addition to physical health he may achieve spiritual salvation. Also his young soul is diseased. The hatred of his father and the mockery of men have injured it and deprived it of love. He is left with faith only in Heaven and in the Son of man and he asks them to let him die. Here he is. Now you will hear him speak.»

584.6

The boy, tidy and clean in the new white woollen tunic that Naomi made for him quickly during the night, comes forward held by the hand by the old nurse. He is small, although, no longer being any longer bent and lame, he looks taller than he did yesterday. His face is irregular and somewhat flabby, typical of a child whom sorrow has made prematurely adult. But he is no longer deformed. His bare feet walk steadily on the floor with a step that no longer has the halting of lame people, and his shoulders, although very thin, are straight. His slender neck overhangs them and looks long as compared with yesterday, when it was sunken between his asymmetric clavicles.

«But… but this is the son of Annas of Nahum! What a wasted miracle! Do You think that by doing so You will make friends with his father and Nahum? You will make them more resentful! Because they were only looking forward to the death of this boy, the offspring of an unfortunate marriage» exclaims Judas of Kerioth.

«I do not work miracles to make friends, but out of pity for people and to honour my Father. I never make differences or calculations when I bend pitifully over human miseries. I do not revenge Myself on those who persecute Me…»

«Nahum will consider Your action a revenge.»

«I knew nothing about this boy. I do not even know his name.»

«They call him Mathusala or Mathusalem out of contempt.»

«My mother called me Shalem. She loved me. She was not bad like you and like those who hate me» says the boy, his eyes shining with the light of impotent wrath that men and animals have when they have been tormented too long.

584.7

«Come here, Shalem. Here with Me. Are you happy that you are cured?»

«Yes… but I preferred to die. I shall not be loved just the same. It would have been beautiful if my mother still lived. But thus!… I shall always be unhappy.»

«He is right. We met this boy yesterday. He asked us whether You were at Bethany, at Lazarus’. We wanted to give him some alms, because we thought that he was a beggar. But he did not want any. He was at the edge of a field…» says the Zealot.

«Did you not know him either? That is strange» says Judas of Kerioth.

«It is even more strange that you know such things so well. Are you forgetting that I was among persecuted people and then among lepers, until I came with the Master?»

«And are you forgetting that I am a friend of Nahum’s, who is Annas’s trustee? I never hid that from you.»

«Well! Well! That does not matter. What matters is to know what we are now going to do with this child. His father does not love him, that is true. But he always has rights over him. We cannot take his son away from him, thus, without telling him. We must be careful and not upset them, since they seem to be more favourably disposed towards us» says Nathanael.

Judas breaks into a sarcastic laugh, but gives no explanation for his laughing.

584.8

Jesus, Who has taken the boy between His knees, says slowly: «I will face Nahum… I shall not be hated more because of this. His hatred cannot increase. It is not possible. It is already complete.»

Annaleah, who has never spoken, all engrossed in thoughts that make her happy, says: «If I had stayed here, I would have liked to have him with me. I am young, but I have the heart of a mother…»

«Are you going away? When?» ask the women.

«Soon.»

«For good? And where are you going? Out of Judaea?»

«Yes. Far. Very far. For good. And I am so happy.»

«Other women will be able to do what You cannot do, if his father hands him over to us.»

«I will tell Nahum, if you wish so. He is the one who matters. More than the boy’s father. I will, tell him tomorrow» promises Judas of Kerioth.

«If it were not the Sabbath… I would have gone to that Josiah to whom the boy was entrusted» says Andrew.

«To see whether they are distressed having lost him?» asks Matthew.

«I think they would be more upset if one of their bees got lost…» mumbles between his teeth Maximinus, who has approached them for some time.

584.9

The boy does not speak. He clings to Jesus, studying the faces around him with the sharp eyes often noticeable in sickly people and in those who have lived a miserable life. He seems to be scanning souls rather than faces, and when Peter asks him: «What do you think of us?» the boy replies by putting his hand into Peter’s saying: «You are good», he then rectifies: «You are all good. But… I wish I had not been recognised. I am afraid…» and he looks at Judas of Kerioth.

«You are afraid of me, are you not? That I may speak to your father? I will certainly have to do so, if I have to ask him to leave you with us. But he will not take you away!»

«I know. But it is a different matter… I would like to be far, very far, where that woman is going… In my mother’s country. There is a blue sea surrounded by completely green mountains. One can see it down at the bottom, with so many white sails flying on it and beautiful towns around it. And in the mountains there are so many grottoes where wild bees make very sweet honey. I have not had any honey since my mother died and I was entrusted to Josiah. Philip, Joseph, Eliza and the other children did get it. But I did not. If they had kept the vase of honey within reach I would have stolen it, as I was dying for some. But they kept it on the upper shelves, and I could not climb on the tables, as Philip did. I am longing so much for some honey!»

«Oh! poor child! I will go and bring you as much as you want!» says Martha, deeply moved, and she runs away.

584.10

«But where did his mother come from?» asks Peter.

«She had houses and land near Saphet. The only daughter, orphan and heiress, already old, ugly and somewhat lame. But very rich. Through the assistance of old Sadoc, who acted as go-between, the son of beloved Annas obtained her in marriage… A contract that was a truly base bargain, all calculation, no love. After selling the property of his wife, saying that it was too far from here, with the exception of a little house that previously belonged to the bailiff, who had received it as a gift from the old owner for himself and his heirs down to the fourth generation, he squandered all the money in unlucky speculations. But… I do not believe that. Because I know that he owns beautiful lands near the shore… and previously he did not have them… Then, after some years of married life, when the woman was already on the threshold of her decline, this son was born… and it was the pretence to expel the woman and take another one from the plain of Sharon, young, beautiful and rich… The divorced woman took refuge at the old bailiff’s house and died there. I do not know why they did not keep this child. His father reckoned that he was dead» explains the Iscariot.

«Because John and Mary were dead, and their children went to work elsewhere as servants. And who was to keep me, if I was not their son and I was not fit to work? But Michael and Isaac were good, and also Esther and Judith were good. And they are good. When they come for feasts, they bring me gifts, but Josiah takes them off me to give them to his sons.»

«But they do not want you» replies Judas.

«Now that I am straight and strong they will want me. They are servants! As I said, they could not say to their master: “Take on this diseased cripple”. But now they can.»

584.11

«But if you have run away from Josiah, how can they find you?» says Bartholomew to make him ponder.

The boy is struck by the just remark and becomes pensive, because his illness has made his mind prematurely thoughtful, just as his face is precociously adult, and he says downheartedly: «That is true! I had not thought of that.»

«Go back there. They will be coming during the next days…»

«There? No. I am not going back there. I don’t want to go back there. I would rather kill myself!» He is shaken by a wild fury, then he throws himself on Jesus’ knees weeping and says: «Why did You not let me die?»

Martha, who is just coming back with a vase of honey, is surprised at so much desolation, and Bartholomew is distressed at having brought it about and he apologises: «I thought I was giving a good piece of advice. Good for everybody. For the boy, for You, Master, for Lazarus… None of you, and none of us, are in need of fresh hatred…»

«That is true! A real problem!» exclaims Peter, and meditating on the case, he draws his personal conclusions, ending them with his characteristic soft whistling, which expresses his frame of mind when faced with difficult serious problems to be solved.

Some make this, some that proposal. To go to Nahum. To go to Josiah and tell him to send Michael and Isaac to Lazarus, or elsewhere, wherever the boy will be, because it is wise not to have Lazarus hated, more than he already is hated because of his friendship with Jesus. Not to mention anything to anybody and make the boy disappear by entrusting him to some reliable disciple.

Judas of Kerioth does not speak. Nay, he does not seem to be interested in the discussion. He toys with the tassels of his tunic, combing and ruffling them with his fingers.

Jesus does not speak either. He calms and caresses the boy and He raises his head putting the vase of honey in his hands.

584.12

Shalem is a boy, a poor ten-year old boy who has always suffered, but he is always a boy, even if sorrow has matured him, and upon seeing such a treasure of honey, his last tears change into ecstatic astonishment. Raising his eyes, his only beauty, so brown, large and intelligent as they are, and looking alternately at Jesus and Martha, he asks: «How much may I take? One of these spoons or two?» and he points at the round silver spoon that he slowly dips into the blond honey.

«As much as you want, my boy. As much as you like. You will take the rest later, tomorrow. It’s all yours!» says Martha caressing him.

«All mine!!! Oh! I have never had so much honey! All mine! Oh!» And he gratefully presses the vase to his chest, as if it were a treasure.

But he then realises that rather than the vase, it is the love with which it is offered that is precious, and he lays the little vase on Jesus’ knees and he lifts his arms as he wants to embrace the neck of Martha, who is bent over him, and kiss her. It is all that his gratitude, all that he can give, a helpless wretch, who has nothing to give.

584.13

The others stop making plans to watch the scene. And Peter says: «This child is even more unhappy than Marjiam, who at least had the love of his grandfather and of the other peasants! It is true that there are always sorrows greater than the ones we have considered very great!»

«Yes. The abyss of human sorrow has not yet been fathomed. I wonder how many secrets it still conceals… And how many will it still conceal in future ages?» says Bartholomew pensively.

«Then you have no faith in the Gospel! Do you not think that it will change the world? It is stated by the prophets. And the Master repeats it. You are skeptical, Bartholomew» says the Iscariot with a slight touch of irony.

The Zealot replies to him: «I do not see in what Bartholomew’s incredulity consists. The Master’s doctrine will give solace to all misfortunes, it will even modify the cruelty of customs and habits, but it will not eliminate sorrow. It will make it bearable through the divine promises of future joys. In order to abolish sorrow, or at least great part of sorrow, because diseases, deaths and natural cataclysms would still remain, it would be necessary for all men to have the heart that the Christ has, but…»

The Iscariot interrupts him saying: «That in fact must happen. Otherwise to what avail would the Messiah have come to the Earth?»

«Let us say that that should happen. But, tell me, Judas, has that happened among us? We are twelve, and for three years we have lived with Him, we have taken in His doctrine like the air we breathe. So? Are we twelve all saints? What do we do that is different from what Lazarus does, from what Stephen, Nicolaus, Isaac, Manaen, Joseph and Nicodemus, the women and children do? I am speaking of the just people of our Fatherland. All of them, whether they are wise and rich, or poor and ignorant, do what we do: a little good, a little bad, but without renewing themselves completely. Nay, I tell you that many surpass us. Yes. Many followers surpass us, the apostles… And would you expect the whole world to assume hearts like the Christ’s, if we, His apostles, have not done so? We have more or less improved ourselves… at least let us hope so, because it is only with difficulty that man knows himself or the brother who lives beside him. The veil of the flesh is too opaque and thick, and the thought of man too carefully avoids being penetrated, for man to understand man. Whether we examine ourselves or other people, we always remain at the surface, both when we examine ourselves, because we do not want to hurt our pride or suffer feeling that we must change, and when we examine other people, because our pride of examiners makes us unjust judges and the pride of the person we scrutinise closes him, as an oyster closes its valves, with regards to what is inside him» says the Zealot.

«You are quite right! Simon, you have really spoken words of wisdom!» says Judas Thaddeus approving. And the others in chorus agree.

584.14

«Then why did He come, if nothing is to be changed?» replies the Iscariot.

Jesus begins to speak: «Much will be changed. Not everything. Because also in future there will be against My doctrine what is already active: the hatred of those who do not love the Light. Because against the strength of my followers there will be the power of Satan’s followers. How many! In how many appearances! How many new heretical doctrines will always be opposed to my doctrine, which is immutable, because it is perfect! How much sorrow will germinate from them! You do not know the future. You consider great the sorrow now existing in the world… But He Who knows, sees horrors that would not be understood even if I explained them to you… What a tragedy if I had not come! If I had not come to give future generations a code that checks instincts in the better people and contains a promise of future peace! How dreadful it would be if man did not have, through my coming, spiritual elements capable of keeping him “alive” in the life of the spirit and assuring him of a reward!… If I had not come, in the long run, the Earth would have become a huge earthly hell, and the human race would have torn itself to pieces and would have perished cursing the Creator…»

«The Most High has promised[1] never to send universal punishments again, like the Deluge. A promise of God never fails» says Judas.

«Yes, Judas of Simon. That is true. And never again will the Most High send universal calamities like the Deluge. But men themselves will create scourges that will be more and more dreadful, in comparison with which the deluge and the rain of fire that destroyed[2] Sodom and Gomorrah are still merciful punishments. Oh!…»

Jesus stands up with a gesture full of anguish and pity for future peoples.

584.15

«All right! You know… But in the meantime what are we going to do for him?» asks the Iscariot pointing at the boy who is enjoying his honey in small quantities and is happy.

«Each day has enough trouble of its own. Tomorrow will tell. It is vain to worry about tomorrow, if we do not even know who will be alive tomorrow.»

«I am not of Your opinion. And I say that we ought to know where we shall go to stay, where we shall consume the Supper. So many things. If we go on waiting, the town will be full up. And where shall we go? Not to Gethsemane. Not to Joseph of Sephoris. Not to Johanna’s. Not to Nike’s. Not to Lazarus’. Where then?»

«Where the Father will prepare a shelter for His Word.»

«Do You think that I want to know in order to report it?»

«You say so. I have not said anything. Come, Shalem. My Mother knows about you, but She has not yet seen you. Come, and I will take you to Her.»

«But is Your Mother not well?» asks Thomas.

«No. She is praying. She is in great need of prayer.»

«Yes. She is suffering bitterly. She weeps very much. And Mary has nothing but prayer to console Her. I have always seen Her pray very much. In the moments of deepest grief She lives on prayer, I could say…» explains Mary of Alphaeus, while Jesus goes away holding the boy by the hand and having on the other side Annaleah, whom He has invited to go with Him to Mary.


Notes

  1. par mépris, peut-être parce que sa difformité faisait penser à la vieillesse, devenue proverbiale, de Mathusalem en Gn 5, 27.
  2. Le Très-Haut a promis, en Gn 9, 11.15.
  3. détruisit : comme on peut le lire en Gn 19, 23-25.

Notes

  1. has promised, in: Genesis 9,11.15.
  2. destroyed, as can be read in: Genesis 19,23-25.