Pierre revient avec Jacques :
« Pas de barque avant ce soir, Maître… Et… dois-je le dire ?
– Oui.
– Des hommes sont passés par ici… Ils doivent avoir payé grassement ou fait de fortes menaces… Je ne crois pas que ce soir non plus tu trouves une barque… Ils sont impitoyables… »
Pierre soupire.
« Peu importe. Mettons-nous en route… et le Seigneur nous aidera. »
La saison est mauvaise, tout n’est que pluie et gadoue. La route est boueuse près de la berge, à la pluie s’ajoute la rosée de la nuit, abondante tout au long du fleuve. Malgré tout, ils avancent sur l’étroite levée de terre qui borde la route, moins bourbeuse et moins exposée aux gouttes de la pluie, fine mais continue, grâce à une rangée de peupliers qui les abritent quelque peu… quand un coup de vent ne précipite pas d’un coup toutes les gouttes d’eau retenues par les branches.
« C’est un temps de saison ! observe philosophiquement Thomas en relevant son vêtement.
– Hé oui ! approuve Barthélemy en soupirant.
– Nous nous sécherons quelque part. Ils ne seront pas tous… excités contre nous, dit Pierre.
– Nous pourrons toujours trouver une barque… Mais ce n’est pas sûr ! ajoute Jacques, fils d’Alphée.
– Si nous avions de l’argent, nous trouverions tout. Mais il n’a pas voulu que j’aille vendre à Jéricho ! lance Judas.
– Tais-toi, je t’en prie. Le Maître est si affligé ! Tais-toi ! supplie Jean.
– Je me tais. Mieux, je ne peux que me réjouir de son ordre. Ainsi, on ne pourra pas dire que c’est moi qui ai envoyé ces sadducéens des alentours de Jéricho. »
Il regarde Pierre, mais Pierre, plongé dans ses pensées, ne voit rien et ne répond pas.
Inlassablement, ils marchent sous une bruine fine comme le brouillard dans la journée grisâtre. De temps en temps, ils échangent quelques mots, mais ils donnent surtout l’impression de se parler à eux-mêmes : leurs paroles semblent conclure un dialogue avec quelque interlocuteur invisible.
« Nous devrons bien finir par nous arrêter quelque part.
– C’est partout la même chose, car eux, ils viennent partout.
– Persécution pour persécution, il vaut mieux s’arrêter dans une ville. Au moins, nous n’y serons pas trempés.
– Mais à quoi veulent-ils donc en venir ?
– Pauvre Marie ! Si elle savait !
– Dieu très-haut, protège tes serviteurs ! »… et ainsi de suite…
Puis ils se rassemblent et discutent à voix basse.
Jésus est en avant, seul… Seul ! Jusqu’au moment où Marziam et Simon le Zélote le rejoignent.
« Les autres sont descendus sur la grève pour voir s’il y a une barque… On ferait plus vite. Tu nous permets de venir avec toi ?
– Venez. De quoi parliez-vous à l’instant ?
– De ta souffrance.
– Et de la haine des hommes. Que pouvons-nous faire pour te soulager et pour juguler la haine ? demande Simon le Zélote.
– Pour alléger ma douleur, il y a votre amour… Quant à la haine… nous ne pouvons que la supporter… Elle cesse avec la vie de la terre… et cette pensée donne de la patience et du courage
pour nous y aider.