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Dans la lumière un peu crue d’un matin quelque peu venteux, apparaît dans toute son originale beauté le caractère singulier de ce village posé sur une plate-forme rocheuse qui se dresse au milieu d’une couronne de sommets plus ou moins élevés. On dirait un grand plateau de granit sur lequel sont posés des maisons, des maisonnettes, des ponts, des fontaines, qui se trouvent là comme pour divertir un enfant géant.
Les maisons paraissent taillées dans la roche calcaire qui forme la matière de base de cette région[1].
Construites de blocs superposés, sans mortier ou à peine équarris, elles ressemblent à un jeu de cubes fabriqué par quelque grand gamin ingénieux.
Tout autour de ce hameau, on contemple sa campagne boisée et fertile, avec des cultures variées qui, vues d’en haut, font comme un tapis où l’on distingue des carrés, des trapèzes, des triangles, les uns de terre brune que l’on vient de piocher, d’autres de couleur vert émeraude à cause de l’herbe qu’a fait repousser la pluie d’automne, d’autres rougies par les dernières feuilles des vignes et des vergers, d’autres vert-gris avec les peupliers et les saules, d’autres d’un vert émaillé avec les chênes et les caroubiers, ou vert bronze avec les cyprès et les conifères. C’est très très beau !
Des routes s’en vont comme à partir d’un nœud de rubans, du village à la plaine lointaine, ou bien vers des montagnes encore plus hautes et s’enfoncent sous des bois, ou bien séparent d’un trait gris les prés verdoyants et les terres ocre brun des labours.
Il y a aussi un riant cours d’eau argenté au-delà du village en remontant vers la source ; du côté opposé, il devient couleur d’azur teinté de jade dans les descentes vers les vallées entre gorges et pentes ; il apparaît et disparaît, capricieux, de plus en plus fort et plus bleuté à mesure qu’il grossit en ne permettant plus aux roseaux du fond et aux herbes qui ont poussé dans son lit à la saison sèche de le teinter de vert. Maintenant il reflète le ciel, après avoir enseveli les tiges sous une épaisseur d’eau déjà profonde.
Le ciel est d’un azur irréel : une écaille précieuse d’un émail bleu foncé, sans la moindre fêlure dans sa masse merveilleuse.