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Jésus n’est plus au même endroit qu’à la dernière vision, mais il se trouve dans un vaste jardin qui se prolonge jusqu’au lac. La maison se trouve au-delà du jardin, ou plutôt au milieu, précédée et entourée de ce jardin qui en arrière se prolonge au moins trois fois plus que sur les côtés et en avant de la maison. Il y a des fleurs, mais surtout des arbres, des bosquets et de tranquilles coins de verdure clos autour de vasques de marbre précieux, comme des pavillons autour de tables et de sièges en pierre. Il devait y avoir des statues ici et là, le long des sentiers et au centre des vasques mais, à présent, il n’en reste que le piédestal pour rappeler leur souvenir près des lauriers et des buis ou pour se mirer dans les bassins remplis d’une eau limpide.
La présence de Jésus avec ses disciples et celle de gens de Magdala, parmi lesquels le petit Benjamin qui avait osé dire[1] à Judas qu’il était méchant, me fait penser que ce sont les jardins de la maison de Marie-Madeleine… revus et corrigés en vue de leur nouvelle fonction par la suppression de ce qui aurait pu produire le dégoût et le scandale ou rappeler le passé.
Le lac n’est qu’un crêpé soyeux gris-bleu qui reflète le ciel sur lequel courent des nuages chargés des premières pluies de l’automne. Et pourtant il est beau aussi sous cette lumière tranquille et paisible d’un jour qui, pour n’être pas serein, n’est pas tout à fait pluvieux. Ses rives n’ont plus beaucoup de fleurs mais, en revanche, sont colorées par ce grand peintre qu’est l’automne et présentent des coups de pinceaux ocre et pourpre, et la pâleur exténuée des feuilles mourantes pour les arbres et les vignes qui changent de couleur avant de céder à la terre leur vêtement vivant.
Il y a tout un coin, dans le jardin d’une villa sur le lac comme celle-ci, qui rougit comme si du sang avait débordé dans les eaux par la présence d’une haie aux branches flexibles auxquelles l’automne a donné une teinte cuivrée qui reflète un brasier alors que, sur les saules répandus sur la rive à peu de distance, on voit trembler leur feuillage glauque argenté, fin et encore plus pâle que d’ordinaire avant de mourir.